Après l'Iowa : 2024, l'année Trump ?
Malgré les affaires et sa tentative de putsch en 2020, Trump a triomphé à la primaire de l’Iowa et devance Joe Biden dans les sondages…
Du fait du poids des États-Unis dans le monde, la présidentielle américaine nous concerne tous. Celle de 2024 aura lieu dans un peu moins de dix mois et devrait logiquement voir s’affronter les mêmes candidats qu’en 2020 : le vieillissant Joe Biden côté démocrate, le multi-inculpé Donald Trump côté républicain. Ce dernier vient de triompher dans l’Iowa, première étape des primaires républicaines. Il apparaît plus que jamais comme l’archifavori pour remporter la nomination de son parti.
A-t-il de sérieuses chances de revenir au pouvoir ? Pourquoi l’Amérique semble condamnée à rejouer le match de 2020, alors que trois électeurs sur quatre rejettent cette affiche opposant un criminel putschiste à un octogénaire au charisme d’huitre ? Un troisième candidat pourrait-il créer la surprise ? Vous êtes nombreux à me poser ces questions. Dans cette édition de ma newsletter, je vous propose mes premiers éléments de réponse.
1) Biden vs Trump, l’inévitable match retour ?
Donald Trump fait face à 91 chefs d’inculpations susceptibles de le conduire en prison. À chaque fois qu’il s’exprime publiquement, Joe Biden donne l’impression qu’il est maintenu éveillé par des électrodes camouflées sous sa chemise. Pourtant, sauf accident de santé ou surprise judiciaire majeure, les deux adversaires de 2020 devraient de nouveau s’affronter en novembre.
Côté démocrate : pourquoi Biden est le seul “véritable” candidat
Ceux qui pensaient que Joe Biden ne briguerait pas de second mandat ne devaient ni bien connaitre le personnage ni comprendre son rapport au pouvoir. Néanmoins, lorsque Biden prend la décision de se représenter à la fin de l’hiver 2023, il dispose de solides arguments. Son bilan législatif est largement supérieur à celui d’Obama, avec quatre lois majeures votées en deux ans (le plan de relance Covid, le plan d’investissement dans l’économie “Build Back Better”, le plan d’investissement dans le secteur électronique “Chip act” et le plan pour la transition énergétique payée par les grandes entreprises “Inflation Reduction Act”). Le Parti démocrate vient de gagner un siège au sénat lors des élections de mi-mandat en plus des nombreux postes de gouverneurs et a manqué de peu de conserver sa majorité à la Chambre des représentants. Un résultat inespéré, tant ces élections sont habituellement synonymes de déroute pour le parti au pouvoir.
Enfin, Biden avait profité de sa main mise sur le Parti démocrate pour redessiner le calendrier des primaires. En plaçant l’état de Caroline du Sud en tête des scrutins, il s’assure un démarrage optimal en cas de challenger sérieux. Si cet État vote largement républicain à l'élection générale, Biden y avait triomphé lors des primaires démocrates de 2020, grâce au poids des électeurs afro-américains qui lui sont durablement acquis.
Entre le bon bilan de Biden, la difficulté objective à le battre dans des primaires biaisées en sa faveur et le risque de diviser leur camp, les grands argentiers du Parti démocrate n’avaient pas jugé utile de convaincre un autre candidat de défier le président sortant. Autrement dit, Biden représentait le choix des élites du parti contre celui de ses électeurs, qui préféraient très majoritairement qu’il ne se représente pas.
Le Parti démocrate ne manque effectivement pas de talents. Des gouverneurs très en vue et biens financés comme Gavin Newsom (Californie) et Gretchen Whitmer (Michigan) ont préféré patienter. Les gouverneurs Josh Shapiro (Pennsylvanie) et Andy Beshear (Kentucky) avaient également de solides arguments : le premier a remporté l’État clé de l’élection 2020, le second s’était fait élire en terre ultra-Trumpiste. Mais Shapiro venait tout juste de prendre ses fonctions et Beshear préférait de toute évidence se concentrer sur sa réélection et confirmer que sa victoire n’était pas un accident. Restaient les anciens poids lourds de la primaire 2020, à commencer par l’ambitieux ministre des Transports Pete Buttigieg.
L’option logique aurait été la Vice-présidente Kamala Harris, mais du fait de son inaptitude politique, elle n’a pas été en mesure de se construire une stature nationale. Moins populaire que Joe Biden, elle aurait eu toutes les peines du monde à justifier de le défier.
Tous ces candidats potentiels font plus ou moins directement partie intégrante de l’establishment démocrate et n’avaient pas envie de s’opposer à son chef de file, préférant attendre 2028 pour laisser libre cours à leurs ambitions.
Et à gauche ? Bernie Sanders a un an de plus que Joe Biden et aurait fait face à des difficultés structurelles plus importantes qu’en 2020 pour le battre dans des primaires. Il a préféré poursuivre sa stratégie d’entrisme en misant sur la réélection de Biden. Dans cette logique, il a rapidement soutenu la candidature du président sortant, coupant l’herbe sous le pied d’un potentiel challenger issu de l’aile gauche.
Alexandria Ocasio Cortez est trop jeune et isolée pour se sentir capable de défier Joe Biden. D’autres progressistes comme la présidente du Progressive Caucus Pramala Jayapal ou l’élu californien Ro Khanna restent davantage liés à l’appareil du parti. Du reste, Biden avait pris soin de décourager tous les candidats potentiels mentionnés plus haut en leur réservant une place dans son administration (Harris, Buttigieg) ou en les intégrant dans son dispositif de campagne (les gouverneurs, Ro Khanna…).
Les petits candidats qui lui disputeront la primaire démocrate n’ont pas d’envergure nationale. L’autrice New Age Marianna Williamson avait fait un score dérisoire aux primaires de 2020 et l’élu au Congrès Dean Phillips est inconnu du grand public. Cenk Uyghur, journaliste indépendant et fondateur de la chaine YouTube The Young Turks, a également officialisé sa candidature. Mais le fait qu’il ne soit pas né citoyen américain lui interdit de briguer la fonction suprême.
Sauf accident de santé ou retournement de dernière minute des cadres du parti, Biden sera donc investi candidat démocrate cet été. Il aurait probablement été plus responsable de sa part de laisser la place, mais Biden n’est pas connu pour sa responsabilité. Il est, par bien des aspects, le stéréotype d’un politicien ayant passé toute sa vie dans les cercles de pouvoir de Washington.
Côté républicain : pourquoi Trump est virtuellement assuré d’obtenir la nomination
Si Donald Trump porte mieux son âge (77 ans) que Joe Biden, sa candidature n’était pas nécessairement évidente.
En premier lieu, les sondages suggèrent que n’importe quel autre républicain ferait mieux. Cette impression est renforcée par ses performances électorales : en 2018, il perd largement les élections de mi-mandat. En 2020, il rejoint le club très fermé des présidents sortants battus (chose qui n’était pas arrivée depuis 1992, lorsque la droite conservatrice avait aligné deux candidats). En 2021, les républicains perdent le contrôle du Sénat par sa faute lors d’élections spéciales en Géorgie. En 2022, les candidats qu’il avait appuyés aux élections de mi-mandat se sont fait écraser. En cause, sa formidable capacité à mobiliser l’électorat démocrate et indépendant contre lui.
Deuxièmement, Donald Trump a essayé de renverser le résultat des élections lors d’une tentative de putsch ayant abouti à la mise à sac du Capitole. Depuis, Trump est inculpé dans deux procès liés à son rôle dans cette insurrection. Lui-même passe son temps à proclamer qu’une fois réélu, il mettra tout en œuvre pour expédier ses adversaires politiques en prison. Si cette rhétorique mobilise sa base, elle constitue un handicap évident pour l’élection générale.
Enfin, ses procès risquent de mobiliser une partie de son temps et de ses ressources pendant les derniers mois de la campagne, en plus de présenter le risque d’aboutir sur des condamnations politiquement désastreuses et de générer une couverture médiatique défavorable.
Pour toutes ses raisons - et le fait que Trump présente une menace objective pour les institutions américaines, les cadres du Parti républicain auraient pu tenter d’imposer un autre candidat. Seulement, Trump reste de loin la personnalité la plus populaire auprès de la base qui vote aux primaires et se déplace régulièrement aux élections intermédiaires. Les poids lourds républicains n’ont pas osé défier leur base électorale en prenant des mesures pour stopper Trump en amont (en refusant de le destituer après sa tentative de putsch, puis en refusant de coopérer avec les démocrates lors de la Commission parlementaire chargée d’enquêter sur le sac du Capitole).
Aidé par un écosystème médiatique conservateur extrêmement puissant, Trump a réussi à convaincre une majorité d’électeurs républicains que Joe Biden avait volé l’élection de 2020 et que les violences du 6 janvier 2021 avaient été commises par des agents du FBI infiltrés et des militants antifas venus polluer une “manifestation patriotique”. Un pan entier de l’électorat et de nombreux élus républicains vivent ainsi dans une réalité alternative.
Pour rappel, les tribunaux et la Cour suprême ont tranché plus de 40 fois et de manière unanime contre Trump dans toutes ses plaintes. Trump lui-même a admis dans des conversations enregistrées qu’il cherchait à renverser le résultat sans preuve, de nombreux témoignages de ses équipes et de sa famille attestent qu’il a reconnu en privé avoir perdu l’élection et fabriqué les allégations. Et de multiples gouverneurs républicains et membres de son administration ont rejeté en public et en privé ses allégations de fraudes.
Si des candidats a priori sérieux le défient dans les primaires républicaines, Trump s’est placé au-dessus du lot en refusant de participer aux débats télévisés. Ses adversaires ont majoritairement refusé de l’attaquer de front et promis de le soutenir s’il obtenait la nomination.
Parmi les gros outsiders figurait son ancien vice-président Mike Pence, considéré comme un traitre à la cause par la base trumpiste. Il a jeté l’éponge avant le scrutin de l’Iowa. Un temps pressenti comme adversaire sérieux, le gouverneur de Floride Ron DeSantis a fait de la lutte contre le wokisme sa marque de fabrique. Sa candidature s’est rapidement effondrée, alors qu’il s’est révélé être un piètre candidat dénué de charisme ou de capacité à toucher les électeurs. Ses soutiens financiers ont déchanté en observant sa dégringolade dans les sondages, confirmée par une seconde place dans l’Iowa très loin derrière Trump (21%, contre 51 %).
L’ancienne gouverneur de Caroline du Sud et ambassadrice de l’administration Trump aux Nations-Unies Nikki Haley incarnait, avant la victoire de Trump en 2016, une des étoiles montantes du parti. Cataloguée comme “modérée”, elle a su soutenir Trump lorsque cela comptait sans pour autant apparaître comme une extrémiste. Pour autant, ses positions bellicistes (elle avait appelé à bombarder préventivement l’Iran le lendemain de l’attaque du Hamas du 7 octobre) et sa fidélité à la ligne du parti en matière programmatique (baisse des impôts sur les riches, dérégulations de l’industrie, privatisations du secteur public et de la Sécurité sociale, climatoscepticisme…) en font une politicienne extrémiste à tous égards. Mais contrairement à Trump, elle respecte les codes et les institutions. Sur les questions internationales, elle représente une digne héritière de l’ère Bush. Ce qui explique pourquoi elle était devenue le nouvel espoir des grands donateurs du parti républicain. Elle a néanmoins échoué à détrôner DeSantis en Iowa, finissant 3e avec 19 % des voix.
L’entrepreneur Vivek Ramaswamy, enfin, avait fait parler de lui comme plus Trumpiste que Trump. Après son échec en Iowa, il a mis un terme à sa campagne et apporté son soutien à l’ancien président.
2) Pourquoi Trump est légèrement favori d’après les sondages et de nombreux analystes
Par bien des aspects, l’élection de 2024 ressemble davantage à celle de 2016 qu’à celle de 2020. Trump est vu comme un dangereux personnage, mais fascine les médias. Le candidat démocrate semble avoir été choisi par défaut, incarne la continuité et n’a pas de grand projet politique à proposer à l’Amérique mis à part la sauvegarde des institutions contre la menace incarnée par le milliardaire. Et l’électorat est tout sauf emballé par l’affiche qu’on lui propose. La recette idéale pour Trump ?
Des signaux inquiétants pour Joe Biden
Au mieux, les sondages à dix mois de l’élection livrent une photographie de l’état de l’opinion. Aux États-Unis plus qu’en France, ils sont connus pour leur marge d’erreur importante, autour de 4 points aux présidentielles de 2016 et 2020. Et les intentions de vote à l’échelle nationale ne valent pas grand-chose puisque l’élection se joue au niveau des États via le système de Collège électoral.
Cela étant dit, les sondages sont historiquement et objectivement mauvais pour Joe Biden. Si on ne considère que les moyennes compilées par les agrégateurs, sa cote de popularité (38 %) est désastreuse pour un président sortant qui vise un second mandat. Seul Harry Truman, en 1948, était aussi bas. Et dans l’hypothèse d’un duel avec Trump, Biden figure légèrement en dessous (-1.5 % en moyenne).
Surtout, des signaux préoccupants inquiètent les stratèges démocrates, à commencer par l’effondrement de Biden auprès des jeunes électeurs. Les sondeurs ont différentes théories pour expliquer ce constat, allant de la minimisation du problème en invoquant les trop grandes marges d’erreur des sondages sur ces sous-catégories jusqu’à l’alarmisme vis-à-vis d’une tendance clairement établie qui s’expliquerait par un mécontentement des jeunes vis-à-vis de Biden, du fait de son manque d’action climatique, sa complicité dans le génocide de Gaza et des conditions économiques dégradées pour les jeunes actifs et les étudiants.
Une tendance similaire s’observe pour d’autres sous-groupes d’électeurs votant traditionnellement démocrate : les musulmans seraient passés de 70 % à 18 % en faveur de Biden (à cause de sa gestion du Moyen-Orient), tandis que Biden reculerait auprès des Hispaniques et Afro-Américains. Or l’issue de nombreux États clés dépend fortement du vote de ces minorités.
Ces sondages confirment un manque d’enthousiasme de la base militante démocrate pour son candidat. Or, contrairement à 2020, Joe Biden va devoir faire campagne sans se cacher derrière le Covid pour éviter les déplacements. Et il porte son âge d’une manière embarrassante. Au-delà des gaffes, lapsus, etc., il suffit de l’entendre s’exprimer et de comparer sa diction avec ses performances de 2008, lorsqu’il faisait campagne pour Obama, pour réaliser à quel point il est diminué.
La Justice peut-elle stopper Donald Trump ?
À priori, lorsque vous tentez un coup d’État, vous n’avez pas le droit à l’erreur ni de seconde chance. Les exceptions à cette règle sont peu nombreuses (Hitler, Chávez… si vous me permettez de mettre ces personnages dans la même parenthèse) et devraient servir d’avertissement. Trump ayant (maladroitement) tenté un coup d’État, le fait qu’il puisse se représenter à une élection parait incongru.
Pourtant, compter sur la justice pour le stopper semble vain. Si certains procès sont quasiment assurés de déboucher sur une condamnation (des co-inculpés ayant plaidé coupables, et compte tenu de la solidité des preuves), la plupart risquent d’avoir du mal à arriver à un verdict avant les élections 2024. Et Trump pourra, dans presque tous les cas, faire appel. Appel qui sera suspensif, sauf décision contraire du juge. Pour toutes ces raisons, mettre ses espoirs dans la justice parait illusoire. Cela étant dit, je vous propose de passer rapidement ces affaires en revue.
Donald Trump est inculpé dans un nombre si élevé de procès qu’il est virtuellement impossible de suivre tous leurs développements. Il y a le procès du district de Manhattan pour violation des règles de financement des campagnes électorales. Celui qui devrait se conclure bientôt visant la Trump organisation, reconnue coupable de malversations financières et fraude fiscale. Un autre procès au civil où Trump est accusé de diffamation par l’autrice E. Caroll et pourrait écoper d’une amende chiffrée en millions de dollars. Puis le procès en Géorgie concernant Trump et une vingtaine de co-inculpés dans le cadre de leur tentative de fraude électorale. Et enfin les deux procès au fédéral intentés par le procureur spécial Jack Smith, l’un portant sur sa détention illégale de documents secrets défense après avoir quitté sa fonction de président, l’autre pour sa tentative de renversement de l’élection de 2020.
Ces procès diffèrent par la nature des faits reprochés, des peines encourues, de la solidité du dossier d’accusation et des chances qu’ils arrivent ou non à conclusion avant l’échéance électorale.
Celui de l’État de New York contre la Trump organisation, où le procureur demande 250 millions de dollars d’amende et l’interdiction à l’entreprise Trump d'exercer dans l’État, pourrait fort bien couler l’entreprise familiale. La Trump org a déjà été reconnue coupable, le procès ne vise qu’à statuer sur le montant de l’amende. Privé de son entreprise, Trump ne devrait pas être fortement impacté en termes de capacité à faire campagne, puisqu’il ne finance pas personnellement ses activités politiques (c’est l’inverse qui est vrai : ses activités politiques financent en partie ses entreprises, son train de vie et ses frais de justice). De toute façon, Trump fera vraisemblablement appel.
Comme j’avais déjà eu l’occasion de le détailler, le procès intenté par le district de Manhattan pour violation des règles de financement de campagne électorale (l’aboutissement de l’affaire dite Stormy Daniels, du nom de l’actrice pornographique qui aurait eu une liaison extra-conjugale avec Trump) repose sur un dossier fragile. Il est improbable que ce dernier débouche sur une peine de prison.
Reste trois gros procès sérieux. Celui portant sur la détention de documents “secret défense” est de loin le plus simple : Trump a reconnu publiquement la véracité des faits qui lui sont reprochés (en arguant que ce n’était pas illégal, contredisant ainsi ce qu’il avait dit des agissements de Hillary Clinton). Mais ce procès a incombé à une juge trumpiste et sera instruit devant un juré issu d’un comté de Floride pro-Trump. Si tant est que le procès se conclût avant l’élection, une peine de prison ferme avant le scrutin serait à la discrétion du juge et l’appel vraisemblablement suspensif.
Le second concerne la Géorgie. Ici, les lois et dispositions juridiques empêcheraient Trump de bénéficier d’une grâce présidentielle. En cas de condamnation à de la prison, l’appel ne serait pas suspensif. Mais la procureur a déjà indiqué qu’elle ne pense pas être en mesure de conclure le procès avant l’élection.
Reste celui du procureur Smith à propos de la tentative de putsch de 2020. Il est instruit par une juge nommée par Obama devant un jury issu d’un territoire (Washington DC) ultra démocrate. S’il peut débuter et se conclure avant l’échéance électorale, Trump a de bonnes chances d’être condamné à de la prison ferme. Mais l’appel serait potentiellement suspensif, sauf si le juge refuse de libérer Trump sous caution.
À titre personnel, quel que soit le bout par lequel je prends les affaires Trump, je n’arrive pas à déceler un enchainement qui permettrait à Trump d’être emprisonné avant l’élection. À moins de se tourner vers la Cour suprême…
La Cour suprême peut-elle “tuer” Trump ?
La section 3 du 14e amendement de la constitution américaine stipule qu’un élu ou serviteur de l’État qui aurait participé à un acte insurrectionnel et ainsi rompu son vœu d’obéir à la Constitution serait interdit d’occuper de telles fonctions par la suite (autrement dit, il deviendrait inéligible). Il s’agit d’une disposition qui avait été rédigée contre les sécessionnistes après la guerre civile de 1862.
No person shall be a Senator or Representative in Congress, or elector of President and Vice President, or hold any office, civil or military, under the United States, or under any state, who, having previously taken an oath, as a member of Congress, or as an officer of the United States, or as a member of any state legislature, or as an executive or judicial officer of any state, to support the Constitution of the United States, shall have engaged in insurrection or rebellion against the same, or given aid or comfort to the enemies thereof.
Selon certains juristes pourtant proches du Parti républicain, cette disposition s’appliquerait à Donald Trump. Suite à une plainte déposée dans l’État du Colorado, la Cour suprême de cet État a déterminé que Trump n’était plus éligible dans cet État, et qu’il ne pourra figurer sur les bulletins de vote aux primaires ou à l’élection générale. Mais le verdict (décidé à 4 voix contre 3 dans une Cour dominée par des juges démocrates) indique qu’en cas d’appel devant la Cour suprême, l’appel serait suspensif.
La Cour suprême a été saisie en appel par les avocats de Trump et commencera l’examen des plaidoiries début février. Du point de vue juridique, elle va devoir trancher différents aspects :
Les plaignants du Colorado avaient-ils le droit d’agir ? (autrement dit, les plaignants faisaient-ils face à un préjudice). Si la réponse est jugée négativement, le verdict du Colorado sera invalidé pour des raisons qu’on pourrait qualifier de procédurales et une autre affaire du même type pourrait hypothétiquement revenir devant la Cour suprême.
Le poste de président des États-Unis constitue-t-il un poste de “officer of the United States” ? En interprétant la constitution textuellement, la Cour suprême pourrait statuer que l’amendement 14-3 ne s’applique pas au président.
Trump a-t-il pris part à un acte insurrectionnel ? Certains tribunaux ont affirmé que oui, mais il n’y a pas encore eu de procès devant un juré pour statuer de cet élément. La Cour pourrait considérer que frapper Trump d’inéligibilité sans qu’il puisse se défendre devant un tribunal et être jugé par ses pairs violerait la constitution (le “due process” ne serait pas respecté).
L’amendement 14-3 de la constitution est-il auto-exécutant ? Certains argumentent que oui (de la même manière qu’un candidat à la présidentielle doit avoir au moins 35 ans et être né américain pour se présenter), d’autres affirment que cela va à l’encontre de la section 5 du 14e amendement qui précise que le Congrès a le pouvoir de faire appliquer le 14e amendement (y comprit la section 3, donc) via les lois appropriées.
Juridiquement, le cas semble bancal, bien qu’il n’existe pas de jurisprudence claire permettant de prédire le verdict. Politiquement, la Cour suprême est constituée d’une majorité de juges républicains (6 contre 3) dont 3 ont été nommés par Trump. Mais ces juges appartiennent à une élite très critique du Trumpisme. Par le passé, leurs verdicts n’ont pas été particulièrement cléments envers Trump (refusant d’entendre sa plainte vis-à-vis de l’élection de 2020 pour manque d’éléments tangibles apportés au dossier, par exemple). On pourrait envisager qu’au moins deux d’entre eux décident de statuer avec les juges démocrates contre Trump, pour préserver les institutions américaines et le décorum de Washington. Tout en misant sur une victoire du camp républicain en 2024 en favorisant la candidature d’un Ron DeSantis ou Nikki Haley en lieu et place de Trump.
Cela dit, mon sentiment est que ces juges craindront de délégitimer leur institution en interdisant à Trump de se présenter à l’élection, même s’ils préfèrent très probablement qu’un autre candidat républicain affronte Joe Biden à la présidentielle.
3) Ce qui devrait vraisemblablement décider l’élection
Le plus probable est donc que l’élection oppose Trump à Biden et soit déterminée par des facteurs aussi communs que le prix à la pompe, l’état de l’économie américaine en novembre 2024 et la capacité des deux candidats à mobiliser leurs électorats respectifs. Sauf crise majeure de type guerre étendue au Moyen-Orient. Et de ce point de vue là, Joe Biden a du souci à se faire.
“It's the economy, stupid.”
Malgré ses victoires législatives indéniables, Biden a présidé pendant une période de forte inflation que d'aucuns attribuent de manière erronée à ses plans de relance et d’investissement (l’Europe a connu une inflation plus forte et persistante sans bénéficier de ce type de politique). Elle a coïncidé avec l’expiration de certaines dispositions sociales mises en place par Trump et Biden pour faire face au Covid. En particulier, le moratoire sur le remboursement des prêts étudiants, le moratoire sur les expulsions de logements, la fin du programme d’allocations familiales mis en place entre 2021 et 2023, la fin des subventions publiques pour l'assurance maladie Obamacare et des subventions supplémentaires à l’aide alimentaire.
Autrement dit, pour l’américain moyen, Biden est le président qui leur a sucré divers aides tout en causant une inflation galopante. Si la réalité est bien plus nuancée, et que le projet du parti républicain est de faire pire, le fait que l’inflation soit quasiment revenue à des niveaux “normaux” n’efface pas le fait que les prix restent élevés. En particulier, l’accès au logement est devenu très difficile, entre les loyers qui explosent et les taux d’intérêt qui ont flambé (la FED souhaitant contracter l’économie pour juguler l’inflation).
Certes, les chiffres de l’emploi et de la croissance feraient pâlir d’envie un dirigeant européen. Sous Biden, l’économie américaine a créé de l’emploi à un rythme sans précédent. Les salaires ont également augmenté, en partie sous son impulsion et celle des syndicats qu’il soutient ouvertement. Mais ces excellents résultats macroéconomiques cachent des perspectives plus difficiles pour l’américain moyen, celui qui ne vote qu’à la présidentielle et se souvient avant tout du mandat Trump comme d’une période - crise de Covid exceptée - où l’économie se portait plutôt bien.
Il reste encore dix mois avant l’élection et beaucoup de choses peuvent changer d’ici là, mais Biden a du chemin à faire pour convaincre l’opinion qu’il est capable d’améliorer les conditions de vie des Américains.
Mobilisation de l’électorat et candidat indépendant (“third party”).
D’un côté, les sondages inquiètent les démocrates. De l’autre, ils ont fait bien mieux que les sondages aux élections de mi-mandat, et ont fait jusqu’à dix points de mieux que les sondages et qu’en 2020 dans de nombreuses élections intermédiaires qui se sont tenues depuis 2022. Ces scrutins (référendums locaux, élections de gouverneurs ou autres mandats locaux) ont vu les démocrates exploser les compteurs. La suppression du droit à l’avortement et l’extrémisme du parti républicain mobilisant contre ce dernier.
Biden aurait ainsi de quoi se rassurer. Mais les scrutins de ce type sont marqués par une faible participation et une surreprésentation d’électeurs aisés ou politisés. Ce socle n’est pas suffisant pour remporter une présidentielle.
Inversement, on se souvient de la performance remarquable de Donald Trump en 2020, lui qui avait gagné 8 millions d’électeurs et fait quatre points de mieux que les sondages à l’échelle nationale. Il avait aisément remporté des États qu’on disait disputés (la Floride, l’Ohio et le Texas dans une moindre mesure) tout en perdant sur le fil les États qui décidèrent l’élection (de 40 000 voix au total). Autrement dit, de nombreux experts estiment que la portion de l’électorat qui ne se déplace qu’aux présidentielles va favoriser Trump.
Enfin, reste l’inconnu des candidatures tierces. En 2016, la candidate du Green Party Jill Stein avait potentiellement coûté quelques États à Hillary Clinton. En 2020, c’est le candidat du parti libertarien qui avait peut-être fait perdre Trump. Mais on parle alors de scores marginaux (entre 0.5 et 2 %) et d’électeurs qui n’auraient pas nécessairement voté pour un autre candidat.
En 2024 la candidature indépendante de l’excentrique et réactionnaire Robert F. Kennedy est - pour le moment - créditée de 16 points dans les sondages.
Reste à savoir comment ce score évoluera, à qui Kennedy prendra le plus de voix et s’il sera capable de figurer sur les listes électorales d’un nombre suffisant d’États clés (sans le soutien de l’infrastructure d’un parti institué, difficile de figurer sur les bulletins de vote).
En conclusion, tout peut encore arriver. Mais l’hypothèse d’une victoire de Trump se concrétise, tout comme celle d’un remake du match de 2020.