Biden pire que Bush ?
À quoi jouent les États-Unis au Moyen-Orient : éclairages sur l'embrasement de la région et l'approche de Joe Biden.
Suite aux attentats du 11 septembre 2001, Georges W Bush et son administration ont mis le Moyen-Orient à feu et à sang au nom de la “guerre contre le terrorisme”. D’abord en attaquant l’Afghanistan malgré l’offre des talibans de se rendre et de leur livrer Ben Laden. Puis en envahissant l’Irak sous de faux prétextes, en violation du droit international. Ces décisions ont conduit à la mise en place de centres de torture (Guantanamo et Abu Graib étant les plus connus) où des personnes suspectées d’appartenir à Al Qaida, mais également de simples soldats iraquiens ont été détenus arbitrairement et torturés.
Les conflits ont provoqué des centaines de milliers de morts, des millions de déplacés et durablement déstabilisé ces régions, tout en entachant sévèrement la crédibilité des États-Unis et le principe du droit international. Tout cela pour des résultats désastreux : la “guerre contre la terreur” a provoqué l’expansion du terrorisme mondial, L’État islamique a émergé des cendres du régime de Sadam Hussein et les talibans ont repris possession de l’Afghanistan après 20 ans d’occupation marquée par la torture et les massacres de civils par les alliés occidentaux. L’Irak est désormais sous l’influence de l’Iran et Israël vient de subir la pire attaque depuis la guerre du Kipour, il y a tout juste un an.
Georges Bush a provoqué une hostilité importante de la population américaine vis-à-vis de l’interventionnisme militaire. Trump s’est en partie fait élire sur un discours isolationniste et se vante constamment de n’avoir engagé les États-Unis dans aucune guerre au cours de son mandat (un fait rarissime pour un président américain). Joe Biden s’était inscrit dans cette continuité en arrivant à la Maison-Blanche. Il avait promis de renégocier l’accord nucléaire iranien rompu par Donald Trump, a mis fin à l’occupation sanglante et couteuse de l’Afghanistan et pratiquement arrêté le programme de frappes de drones mis en place par Obama et largement étendu par Donald Trump.
Si Biden n’a pas souhaité rejeter explicitement l’inclusion de l’Ukraine dans l’OTAN, une perche qui aurait peut-être dissuadé Poutine d’envahir son voisin, il a tenté d’incarner une voie raisonnable vis-à-vis du conflit. Malgré les pressions internes et externes, la Maison-Blanche a longtemps hésité à fournir certains types d’armements offensifs à l’Ukraine de peur de provoquer une escalade avec la Russie, et continue de leur interdire d’utiliser du matériel américain pour conduire des frappes en profondeur sur le territoire russe. Mais les États-Unis et leurs alliés ont également torpillé des négociations qui auraient débouché sur la fin du conflit dès les premiers mois de guerre, laissant l’Ukraine dans une meilleure position qu’elle ne l’est actuellement.
Biden pouvait néanmoins se vanter d’être un président américain soucieux du droit international, d’inspiration non-interventionniste et relativement pacifiste. Cet héritage, souvent construit en opposition de sa propre administration et de la presse américaine plus va-t-en-guerre, vient de voler en éclat.
De Gaza à l’Iran en passant par le Liban : la complicité de “Genocide Joe”
Depuis bientôt un an, Joe Biden soutient de manière inconditionnelle l’entreprise vengeresse et génocidaire d’Israël. Les États-Unis fournissent des quantités illimitées de bombes et équipements à leur allié (gratuitement), leur offrent une protection diplomatique à l’ONU, attaquent le Yémen pour empêcher le blocus Houthis d’être effectif, commercent avec Israël, font pression sur la Cour de justice internationale pour retarder l’émission de mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens et prennent une part active à la défense aérienne d’Israël lorsque l’Iran vise à rétablir un équilibre de dissuasion suite à des assassinats de ses dignitaires.
Ce soutien s’est également manifesté sous la forme de mensonges d’État proférés par Joe Biden, qui a faussement affirmé avoir vu des images de bébés décapités par le Hamas (donnant corps à une fake news propagée par la propagande israélienne pour justifier d’affamer deux millions de Gazaouis), mis en doute le nombre de pertes civiles palestiniennes (contredisant ses propres agences de renseignement) et repris les récits “debunkés” à de multiples occasions de viols de masse commis par le Hamas le 7 octobre. Son administration a également reproduit la communication israélienne (au point de se contredire fréquemment) pour expliquer l’échec des négociations visant à libérer les otages.
L’approche de Biden est loin de faire l’unanimité aux États-Unis. Les électeurs sont majoritairement favorables à un cessez-le-feu et hostiles à l’envoi d’armes à Israël. Les électeurs démocrates considèrent majoritairement que l’état hébreu commet un génocide et Joe Biden est contesté en interne. Dès novembre 2023, plus de 500 hauts fonctionnaires travaillant dans 40 agences gouvernementales différentes ont signé une lettre pour contester le soutien inconditionnel de Biden à Israël, citant les risques que cela impliquait du point de vue des intérêts et de la sécurité des États-Unis. Avant cela, deux mémos internes au ministère de la Défense avaient été signés par des responsables pour protester contre l’approche de Biden. Au sein de la Maison-Blanche, des conseillers et employés ont organisé des débrayages pour signaler leur opposition. Le ministère de la Défense Lyod Austin et le patron de la CIA William Burns ont également évoqué leurs divergences avec leur patron, faisant écho au sentiment prévalant dans leurs organisations respectives. Des dizaines d’élus démocrates au Congrès, dont l’ancienne numéro 2 du Parti Nancy Pelosi, se sont prononcés en faveur de la suspension des livraisons d’armes. Même le département d’État a été le théâtre de désaccords entre ses experts et hauts fonctionnaires face au Secrétaire d’État Anthony Blinken.
Dans la rue, les blocages et actions d’éclat organisés par des associations juives pour protester contre le génocide à Gaza ont été accompagnés de mouvements d’occupation de campus, d’interpellations de différents responsables politiques devant les caméras, de protestations type “casserolades” et de manifestations massives. Les électeurs démocrates de certains États ont même organisé des votes de protestation contre Biden lors des primaires démocrates (où le président sortant se présentait sans réelle opposition) en votant “non-acquis”. On parle de centaines de milliers de voix dans plusieurs états clés pour la présidentielle.
Malgré toute cette opposition, Biden n’a eu de cesse de se laisser humilier par Netanyahou, qui a pu déclarer publiquement être le dirigeant israélien le plus apte à manipuler les États-Unis, avant de franchir toutes les lignes rouges établies par la Maison-Blanche (en particulier concernant l’invasion de Rafah et le blocage de l’aide humanitaire à Gaza). Qui se souvient du port artificiel installé par l’armée américaine et rapidement emportée par la houle avant de s’échouer pathétiquement sur la plage de Gaza ? Il constitue le symbole parfait de la politique américaine dans la région : inefficace, hypocrite, inopérante et résultant du refus de confronter Israël (qui bloque l’envoi d’une grande partie de l’aide humanitaire, attaque les convois et commet des massacres aux points de distribution). L’épisode des larguages d’aide humanitaire par avion qui tuent des civils en leur tombant dessus s’inscrit dans la même lignée.
Non seulement Israël a continué son entreprise génocidaire, mais l’État hébreu a également assassiné plusieurs ressortissants américains, dont des humanitaires à Gaza et des activistes en Cisjordanie. Depuis le début des bombardements sur Beyrouth, les États-Unis refusent d’appeler leurs ressortissants à quitter le pays en leur fournissant des billets d’avion (cela reviendrait à admettre qu’Israël frappe de manière indiscriminée), contrairement à ce qu’ont fait le Royaume-Uni et la Chine. Les USA avaient pourtant organisé l’évacuation de ses ressortissants présents en Israël suite aux attentats du 7 octobre.
Le nombre de témoignages glaçants publiés par la presse américaine, de reportages accablants diffusés par CNN, d’éditoriaux tranchants de la chaine pro-démocrate MSNBC ou d’interviews d’humanitaires ne cesse de s’accumuler. Un des écrivains les plus en vue dans les cercles élitistes démocrates, Ta Nahisi Coates, vient de sortir un best-seller qualifiant la Cisjordanie de zone d’apartheid sans équivalent historique, où le racisme le plus primaire s’exprime librement contre les Palestiniens. Il fait le tour de tous les plateaux TV.
Tout cela n’a pas fait bouger d’un chouia la ligne de Joe Biden. Pire, après l’attaque terroriste aux bipeurs perpétués contre le Liban (lire ici) et les frappes aériennes ayant fait des centaines de morts en plein Beyrouth pour assassiner le dirigeant du Hezbollah Nasrallah, l’administration Biden a félicité officiellement Israël à travers des communiqués affirmant que “justice a été rendue”. Sans le moindre mot pour les centaines de victimes collatérales civiles. Pour rappel, les États-Unis eux-mêmes avaient établi un seuil maximum de 30 victimes collatérales pour la tête de Ousama Ben Laden.

Le Hezbollah justifiait ses frappes sur le territoire israélien comme une tentative de faire pression sur Israël pour qu’elle accepte un accord de cessez-le-feu à Gaza (comprendre : l’arrêt du génocide et la libération des otages). Nasrallah venait d’accepter la trêve de 21 jours proposée par Joe Biden et Emmanuel Macron aux Nations-Unies, lorsque Netanyahou a ordonné depuis le siège des Nations unies les bombardements massifs de Beyrouth qui l’ont tué.
La nouvelle ligne rouge de la Maison-Blanche semblait être l’invasion terrestre du Liban. Mais le site Politico a révélé qu’il ne s’agissait que d’une posture. En privé, les États-Unis encourageaient Israël à se lancer dans cette invasion, tout en exprimant des inquiétudes quant aux chances de succès. L’attaque d’Israël contre le Liban est pourtant sans commune mesure avec les précédents historiques. En quinze jours, plus de deux mille morts et un million de déplacés sont à déplorer. Israël cible systématiquement les infrastructures civiles, frappe les hôpitaux intentionnellement, détruit des mosquées et emploie des armes chimiques. Il s’agit de la campagne de bombardement la plus intense depuis la guerre en Irak de Bush, à l’exception de l’annihilation de Gaza.
À Gaza, l’armée israélienne vient d’ordonner une nouvelle évacuation de la partie nord de l’enclave, dans la droite direction du projet évoqué par la presse israélienne de nettoyage ethnique total de la région comme solution finale, où ceux qui refuseraient de quitter le territoire seraient “exécutés ou affamés jusqu’au dernier”. Non seulement la Maison-Blanche ne s’en émeut pas, mais des fuites de documents internes montrent que Anthony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, avait lui-même permis dès 2023 les attaques contre les convois d’aides humanitaires et ambulances qui ont tué, entre autres, des ressortissants américains.
Depuis les tirs de missiles iraniens contre des infrastructures militaires israéliennes, la Maison-Blanche vise à prendre une part active dans les représailles promises par Israël, qui n’a pas les moyens de frapper au cœur du territoire perse sans l’appui logistique de l’US Air Force. Il est question d’attaquer le programme nucléaire iranien voire ses installations pétrolières. L’Iran a averti que si ses installations étaient touchées, il attaquerait également les installations des pays du Golfe alliés de Washington. De quoi garantir une extension du conflit et une hausse du prix du baril susceptible d’expédier Trump à la Maison-Blanche avec une super majorité au Congrès, tant le résultat des élections américaines est corrélé au prix à la pompe.
À quoi joue Joe Biden (l’âge n’explique pas tout)
Pendant près d’un an, les analystes ont majoritairement estimé que les actions d’Israël ennuyaient l’administration Biden du fait des multiples répercussions négatives (difficultés électorales en vue de la présidentielle et déstabilisation de la région). Selon cette théorie, Biden était en quelque sort piégé par Israël, car n’osant pas s’opposer frontalement à son allié de peur de s’aliéner la presse américaine et les électeurs modérés et indépendants. Les lobbies pro-israéliens comme l’AIPAC ont de nombreux leviers d’influence à Washington, et annoncer suspendre l’aide militaire risquait de rendre la position de Joe Biden délicate (bien que cela aurait également permis de mettre fin au génocide et à l’escalade guerrière).
Biden était critiqué au sein de son parti et de son administration, car cette attitude aliénait sa base électorale et le faisait apparaitre comme faible face aux Israéliens. Netanyahou était ainsi devenu une personnalité non-gratta pour de nombreux démocrates (Kamala Harris, devenue candidate à la place de Joe Biden, s’était arrangée pour ne pas assister au discours de Netanyahou prononcé au Congrès sur invitation du Parti républicain, comme de nombreux élus démocrates).
Au vu des développements récents, il semble clair que Biden est en réalité aligné sur la position de Netanyahou et de l’extrême droite israélienne. Au risque, désormais, d’entrer en guerre ouverte avec l’Iran, avec tout ce que cela implique politiquement pour le Parti démocrate.
Trois hypothèses non exclusives permettent d’expliquer ce positionnement :
Joe Biden a toujours été “un sioniste convaincu”, comme il l’avait affirmé au Congrès par le passé. Il est globalement satisfait de l’approche mise en œuvre par Israël et aligné sur ses objectifs. Dès octobre 2024, il avait qualifié l’idée qu’Israël “s’occupe du Hamas à Gaza et du Hezbollah au nord » de “nécessité”. Récemment, le porte-parole de la diplomatie américaine (qui tient des conférences de presse quotidiennes où il ment et pratique la langue de bois avec un aplomb déconcertant face aux questions des journalistes) a reconnu que la Maison-Blanche “n’a jamais été favorable à une résolution diplomatique avec le Hamas”, contredisant neuf mois de posture officielle. Enfin, Anthony Blinken a enterré un rapport de son propre gouvernement qui démontrait qu’Israël affame délibérément Gaza, bloque l’entrée de l’aide alimentaire présente sur place et attaque volontairement les points de distributions.
Biden a peur des conséquences d’un changement d’orientation politique, malgré le fait que de nombreux présidents avant lui se sont efficacement opposés à Israël (en particulier Bush et Reagan) avec succès. Confronter Israël présente un risque politique, bien que cela soit précisément ce que les électeurs souhaitent.
Biden n’a que peu d’influence sur la politique étrangère américaine, du fait de son âge avancé. Ce sont surtout ses conseillers au sein de l’administration qui dialoguent directement avec les Israéliens et façonnent les orientations. Or, contre l’avis de la CIA et du Pentagone, ces derniers ont validé l’offensive terrestre au Liban. Parmi les faucons de la Maison-Blanche, on retrouve l’ancien artisan de la guerre en Irak Brett McGurk et Amos Hochstein (un ancien membre de l’armée israélienne). Ces deux conseillers, désormais responsables de la coordination de la politique étrangère au Moyen-Orient, sont aux avant-postes. Agissent-ils parfois sans l’aval de leur hiérarchie ? C’est ce que l’article de Politico suggère. Au minimum, Biden semble victime de la politique du fait accomplis menée par Israel avec l’aide d’une partie de son administration.
La réalité se situe certainement au carrefour de ces hypothèses. Il est frappant de constater à quel point de nombreux hauts responsables de la diplomatie américaine répètent la communication émanant du cabinet de Netanyahou. Et ce, alors que Biden lui-même est conscient que son “allié” cherche à aider Donald Trump à remporter l’élection, comme il vient de le reconnaitre publiquement lors d’une conférence de presse.
Au moins, Georges W. Bush et sa clique de néoconservateurs avaient une vision stratégique derrière leur projet d’invasion de l’Irak. Idéologiquement, il s’agissait de combattre “l’axe du mal”. Stratégiquement, de réaffirmer la domination militaire américaine et d’accéder aux ressources minières et pétrolières des pays ciblés. Avec Biden, au contraire, il n’y a pas d’idéologie, pas de vision, pas de projet. Une simple descente dans l’abjecte, au mépris des intérêts américains et de ceux de son propre camp politique.
Les intentions d’Israël sont claires : outre le nettoyage ethnique en cours à Gaza et en Cisjordanie, la perception dominante de ses dirigeants (partagée par les faucons de Washington, républicains comme démocrates, et explicitée sur Twitter par Jared Kushner, le gendre de Trump et ancien envoyé spécial au Moyen-Orient) est qu’Israël a une opportunité unique d’abattre le Hezbollah et le régime iranien. Comme l’explique Kushner, “l’Iran a perdu sa capacité de dissuasion qu’il avait construite au Liban” et qui “empêchait la destruction de son programme nucléaire”. Kushner reprend des arguments écrits par les dirigeants israéliens, dont l’ancien Premier ministre Naftali Bennet, qui voit dans les “succès” au Liban et l’attaque de missiles de l’Iran une opportunité de renverser le régime de Téhéran. La réthorique de Kushner et la promesse de faire tomber le régime iranien proféré par Netanyahu, qui a directement menacé de bombarder ses dirigeants, aurait poussé l’Iran a tirer une salve de missile en prévention. Depuis, le monde attend de savoir quelle sera l’ampleur de la réplique israélienne.
Le plus tragique est que cette escalade facilité par l’inertie de Biden ne rencontre quasiment aucune opposition. Bush avait fait face à des manifestations monstres partout dans le monde et au véto de la France au Conseil de sécurité de l’ONU. La presse européenne était sceptique, voire ouvertement hostile à l’invasion de l’Irak. À l’inverse, Netanyahou reçoit des armes et des encouragements. L’opposition citoyenne décrite plus haut a été largement muselée à coup d’accusation d’antisémitisme et de repression policière, la fatigue et la résignation faisant le reste.
Si Israel va au bout de son projet de “désescalade par l’escalade”, Joe Biden n’aura pas seulement présidé au plus grand génocide de notre ère. Il aura aussi mis à son tour le Moyen-Orient à feu et à sang.
"Malgré les pressions internes et externes, la Maison-Blanche a longtemps hésité à fournir certains types d’armements offensifs à l’Ukraine de peur de provoquer une escalade avec la Russie, et continue de leur interdire d’utiliser du matériel américain pour conduire des frappes en profondeur sur le territoire russe."
A propos des armes à longue portée étatsuniennes je vous invite à lire l'article d'Olivier Dujardin publié en septembre 2024 par le Centre français de recherche sur le renseignement.
https://cf2r.org/rta/pourquoi-la-livraison-a-lukraine-de-missiles-jassm-pourrait-poser-un-probleme/