Cessez-le-feu contre libération d’otages à Gaza: une lueur d'espoir ?
Un accord a enfin été trouvé, mais la presse couvrira-t-elle cette avancée majeure de manière objective, sans biais et avec le recul exigé par l'enjeu ?
Ceux qui me suivent depuis longtemps savent qu’une de mes motivations à écrire consiste à proposer des synthèses sur divers sujets, en mettant en lumière des faits et des analyses peu partagées en France, souvent glanées auprès de la presse indépendante américaine.
Depuis le 7 octobre, je me retiens d’écrire un billet sur la tragédie qui frappe le Moyen-Orient pour diverses raisons : difficulté d’être objectif, de couvrir tous les points qui me paraissent importants, de ne pas me contenter de répéter des poncifs… sans parler de l’évolution rapide de la situation et du “risque” d’être catalogué comme prenant parti pour un des belligérants. Ces derniers temps, je me suis davantage investi dans les questions de luttes syndicales victorieuses aux États-Unis et les impacts de la Silicon Valley sur la société (stay tuned !).
L’accord pour un cessez-le-feu contre la libération de certains otages me donne l’opportunité de revenir sur la situation par cet angle, dans l’idée de souligner certains points qui risquent d’être peu couverts par les médias francophones.
Si je devais résumer la situation en cinqs phrases :
Le 7 octobre 2023 vit le pire massacre de juifs depuis l’holocauste. La riposte d’Israël aux multiples crimes de guerres et actes terroristes commis par le Hamas a déjà provoqué “un carnage total et complet” qualifié du “pire jamais vu” par le directeur du programme d’aide humanitaire de l’ONU Martin Griffiths. Après avoir apporté un soutien inconditionnel et zélé à Israël, les médias et dirigeants politiques occidentaux éprouvent des difficultés grandissantes à justifier les crimes de guerre et le nettoyage ethnique perpétué par le gouvernement de Netanyahou. Dans ce contexte, l’accord pour un cessez-le-feu temporaire contre la libération de certains otages, précédemment été refusé par Netanyahou, offre une fenêtre inespérée pour freiner la spirale de violence.
Voici, à mon sens, les dix points importants sur lesquels il convient de revenir :
1) Ce que contient l’accord
L’accord, qui risque d’être sujet à interprétation par les deux principaux partis, prévoit:
Une pause de 4 jours dans les combats à Gaza, avec arrêt des mouvements importants de véhicules israéliens et des plages horaires où les drones d’observation israéliens auront interdiction de voler.
La libération de cinquante otages détenus par le Hamas, exclusivement des femmes et des enfants, enlevés le 7 octobre.
La libération de 150 détenus palestiniens, exclusivement des femmes et des enfants, emprisonnés par Israël avant et après le début du conflit.
L’entrée libre de l’aide humanitaire dans Gaza, qui était sévèrement restreinte par Israël jusqu’à présent.
Enfin, et c’est peut être le point le plus important de l’accord : Israël s’est engagé à prolonger la pause de 24 h heure à chaque fois que le Hamas libérera 10 otages supplémentaires. Autrement dit, l’arrêt des combats pourrait durer une vingtaine de jours, si l’accord tient jusque-là (quelques heures après le cessez-le-feu, l’armée israélienne a ouvert le feu sur des convois de civils qui tentaient de retourner dans le nord de Gaza enterrer leurs morts et inspecter leurs maisons. On compte de nombreux blessés, tous aux jambes).
2) Netanyahou avait rejeté le même accord il y a trois semaines
Une proposition quasi identique avait été rejetée par Netanyahou juste avant le début de l’offensive terrestre à Gaza, selon The Guardian et le quotidien israélien Haaretz. Pour ce dernier, le changement de direction du Premier ministre israélien s’explique par divers facteurs : la pression des Américains pour la libération des otages, les manifestations en Israël contre Netanyahou, en particulier celles organisées par les familles des otages, la pression internationale et les demandes de l’armée israélienne (Tsahal), des services de renseignements (Mossad) et de l’intérieur (Shin Bet) en faveur d’un accord. En clair, le gouvernement israélien n’avait pas prévu de faire de la libération des 240 otages une priorité, mais y a été contraint par les multiples pressions politiques.
3) L’accord ne « valide » pas la stratégie israélienne, mais signal son échec grandissant
Netanyahou et les porte-parole du gouvernement israélien vont certainement présenter cet accord comme une victoire permise par leur action dans Gaza, qui aurait forcé la main du Hamas. Rien ne pourrait être plus faux.
En plus des éléments évoqués plus haut, Politico rapporte que le «deal » avait failli tomber à l’eau après l’attaque contre l’hôpital Al-Shifa. La stratégie israélienne, qui a consisté à lâcher 25 000 tonnes d’explosifs (l’équivalent de deux Hiroshima) sur l’enclave la plus densément peuplée du monde et sans le moindre égard pour la population ou le respect du principe de “proportionnalité de la force”, a pratiquement rendu l’accord impossible.
À l’inverse, le caractère injustifiable du carnage a accentué la pression sur Israël pour accepter le « deal » du Hamas. Après avoir prétendu qu’un cessez-le-feu revenait à encourager le terrorisme et qu’on ne négocie pas avec des nazis, le gouvernement israélien et l’administration Biden ont effectué un virage à 180 degrés.
Les commentateurs français qui ont repris pendant des jours ces éléments de langages vont devoir réconcilier cette contradiction : le Hamas est un monstre sanguinaire avec lequel il est impossible et futile de discuter, mais un accord extrêmement complexe impliquant de multiples parties a été trouvé avec lui.
4) L’échange de prisonnier devrait être embarrassant, pour Israël comme le Hamas
La presse occidentale a déjà adapté ses éléments de langage pour qualifier l’échange de prisonniers couvert par l’accord (un otage contre trois prisonniers) : le Hamas relâche des femmes et des enfants, Israël des femmes et des adolescents. Le Guardian a été encore plus créatif en expliquant que le Hamas allait libérer des femmes et des enfants israéliens contre la libération de femmes et Palestiniens de moins de 18 ans. Une déshumanisation de plus.
Plus de 250 enfants palestiniens sont détenus par Israël dans des conditions dénoncées par plusieurs ONG comme de la torture et une violation du droit international. Plus de deux milles adultes sont détenus sans avoir été condamnés. D’autres ont été emprisonnés pour des faits qui ne sont pas clairement établis. Pour les Palestiniens, notait un expert entendu sur France 24, ces prisonniers sont des otages. Les portraits de certains d’entre eux sont particulièrement gênants pour Israël, qui tente de les repeindre en terroristes.
Sur la liste des 300 prisonniers potentiellement libérables publiée par Israel, l’ONG Israélienne B'Tselem compte : 270 enfants et 30 femmes (233 n’ont pas été jugés ou condamnés et 21 sont simplement accusés d’avoir jetés des pierres).
De son côté, le Hamas va certainement chercher à instrumentaliser la libération des otages à ses propres fins de propagande. En plus des 14 otages relâchés ce vendredi, le Hamas semble libérer 12 ouvriers thaïlandais. Une “bonne surprise” qui ne doit faire oublier que la prise d’otage constitue un crime de guerre injustifiable et que le Hamas maintient en captivité des blessés, malades et orphelins en violation des conventions de Genève. Le fait que tous les otages civils ne soient pas déjà relâchés est injustifiable.
5) Israël et les États-Unis ont pris en otage 2.3 millions de civils pour obtenir la libération des otages palestiniens, selon Human Right Watch.
Gaza subissait une crise humanitaire avant le 7 octobre, du fait du blocus israélien conçu pour maintenir la population sous rationnement (45% de chômage, 65 % des habitants en dessous du seuil de pauvreté, 80 % dépendants de l’aide humanitaire pour vivre et 10 % seulement ayant accès à de l’eau potable).
Suite aux attaques terroristes du 7 octobre, Israël a délibérément accentué cette crise en coupant l’eau, l’électricité, la nourriture et les livraisons de médicaments et combustibles à la population de Gaza. Son armée a ciblé les toits des logements arborant des panneaux solaires, détruit la moitié des logements du nord de Gaza, dépêché des bulldozers pour finir le travail (plantant au passage des drapeaux israéliens dans les zones vidées d’habitants), ciblé l’intégrité du système de santé et des hôpitaux, détruit à la dynamite les bâtiments administratifs et pris pour cibles les infrastructures civiles, camps de réfugiés, bâtiments de l’ONU, écoles, églises, mosquées, boulangeries, moulins à grains, ambulances et convois de réfugiés. Comme vient de le révéler Politico, “Les États-Unis ont fourni à Israël les coordonnées de nombreux sites humanitaires pour éviter qu’ils soient frappés, mais Israël a continué de les prendre pour cibles”.
L’ONU alerte sur le risque de famine et d’épidémies, alors qu’un ancien haut responsable israélien influant souhaitait publiquement que ce scénario se manifeste, car « cela nous rapprocherait de la victoire ». Le manque de lits, vêtements, couvertures et abris à l’approche de l’hiver fait craindre le pire. Selon Haaretz, les conditions dans les camps de réfugiés de l’ONU sont inhumaines (une douche pour 700 personnes, une toilette pour 120, début d’épidémies). Le nord de Gaza est devenu inhabitable et de nombreux Palestiniens concèdent qu’ils ne reviendront plus chez eux.
Or, les États-Unis ont justifié leur refus d’appeler à un cessez-le-feu en amont de cet accord, malgré les pressions multiples exercées sur Joe Biden par son électorat et une partie des parlementaires démocrates, par l’importance d'obtenir d’abord un accord sur la libération des otages.
D’où cette dénonciation d’Human Rights Watch :
“Prendre des otages est un crime de guerre et le Hamas et les autres groupes armés palestiniens doivent relâcher tous les otages immédiatement. Mais empêcher l’arrivée d’aide humanitaire dont dépendent des vies jusque à la libération des otages est un crime de guerre qui place 2.2 millions de personnes en grand danger. Les êtres humains ne sont pas des pions servant à négocier.”
6) Le fiasco de l’attaque de l’hopital Al-Shifa a peut être permis la libération des otages
Al-Shifa était le principal centre hospitalier de Gaza, que les forces israéliennes ont pris d’assaut, choquant l’opinion internationale. Des docteurs, patients et bébés prématurés sont morts, certains par simple conséquence de la coupure totale de l’électricité provoquant l’arrêt des couveuses. Pourtant, l’administration Biden comme le gouvernement israélien ont justifié ces crimes de guerre débouchant sur des fosses mortuaires géantes par la présence assurée d’un vaste réseau de tunnels et bunkers sous l’hôpital, qui devait servir de centre de commandement au Hamas.
Pourquoi étaient-ils si certains de trouver cet État-major terroriste qui permettrait de produire des images justifiant les attaques brutales d’hôpitaux, écoles et camps de réfugiés ? L’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak l’a expliqué à une journaliste de CNN sidérée :
“On sait depuis de nombreuses années qu'il y a des bunkers et tunnels construits à l'origine par des Israéliens sous Al-Shifa. Quand nous gérions cet endroit, nous les avons aidés à les construire afin de permettre à l'hôpital d'avoir plus d'espace pour fonctionner”.
Pourtant, le manque de preuves d’une présence importante du Hamas dans l’hôpital à conduit l’armée israélienne à simuler des découvertes, comme l’ont relevé la BBC et CNN (entre autres), avant de parvenir à montrer une entrée de tunnel située en dehors des bâtiments de l’hôpital.
Les forces armées israëliennes ont ensuite signalé que des otages avaient été conduits à l’hôpital, sans visiblement se rendre compte que cette assertion servait la propagande du Hamas. Un des otages s’y trouvait pour recevoir des soins après des blessures occasionnées par une frappe israélienne sur l’appartement où elle était retenue prisonnière, ce qui semble contredire la thèse selon laquelle les otages étaient retenus dans les tunnels de l’hôpital.
Ce flop a privé Israël des images pouvant servir sa communication, affaiblissant encore plus sa position vis-à-vis de la communauté internationale.
7) Les pressions politiques et de la rue fonctionnent
Selon le New York Times et Politico, les pressions de l’administration Biden auraient été déterminante pour convaincre Israël d’accepter l’accord. Et l’implication de Biden aurait été accélérée par les multiples pressions politiques qui s’exercent sur lui, via la prise de position de certains élus démocrates, les actions des activistes, les manifestations de masses, les sondages désastreux, etc.
Néanmoins, l’article de Politico contient une information terrifiante : de nombreux conseillers et membres de l’administration Biden s’inquiétaient du fait que la pause dans les combats allait permettre à la presse internationale de documenter l’ampleur des massacres et horreurs à Gaza, au risque de “retourner l’opinion publique contre Israël”.
Le nombre de morts devrait augmenter. Les services américains et l’ONU estiment que les chiffres du Hamas sous-estiment le nombre de victimes du fait des milliers de corps coincés sous les décombres, et le Washington Post rapportait que les autorités de Gaza n’étaient plus en capacité de tenir un décompte du fait des destructions occasionnées contre les services de santé qui recevaient les corps et comptabilisaient les disparus. Le propre responsable de la coordination humanitaire de l’ONU expliquait que les autorités avaient “cessé de compter les enfants morts”.
Le fait qu’une cinquantaine de journalistes aient été tués, souvent avec leurs familles, par l’armée israélienne, ne semble pas relever du hasard. Une enquête de RSF a démontré que deux journalistes libanais avaient été tués au Liban par une frappe délibérée de l’armée israélienne.
8) Israël reste déterminée à reprendre les combats
On retiendra ce fait important : les pressions fonctionnent et le cessez-le-feu a de (maigres) chances de se prolonger. Pour le reste, le gouvernement israélien a signalé à de nombreuses reprises sa volonté de détruire totalement le Hamas. Mais penser qu’il s’agit de sa priorité nécessite de faire abstraction de nombreux faits et propos génocidaires tenus par ses responsables :
Un ministre a appelé au largage d’une bombe nucléaire sur Gaza (par le passé, Israël refusait de reconnaître qu’elle était en possession de telles armes).
Un autre a qualifié les Palestiniens de Gaza “d’animaux humains” pour justifier l’arrêt des livraisons d’eau potable, le type de discours déshumanisant qui favorise les génocides.
Le ministre de l’Agriculture a prédit une seconde “Nakba” (exil forcé de 750 000 palestiniens en 1948, Ndr) contre Gaza pour appeler au nettoyage ethnique de l’enclave. Le terme et la notion de Nakba était encore récemment nié par les autorités israélienne…
Le porte-parole de l'armée israélienne a expliqué que le but était “la destruction, pas la précision”, tordant le coup à l’idée qu’Israël essayait de minimiser les pertes civiles.
Un député vice-président de commission a appelé à l’arrêt des pudeurs à Gaza en disant “il faut tout brûler”, puis défendu et réitérer ses propos.
De nombreux membres du gouvernement ou anciens responsables ont justifié le fait que tous les civils de Gaza étaient des cibles acceptables, car ils étaient au minimum complices du Hamas.
Le chef de l’opposition à Netanyahou s’est réjoui des 12 000 morts civiles, dont 6000 enfants, en indiquant qu’il s’agissait essentiellement de terroristes.
Un ministre a propagé la fake-news consistant à accuser les Palestiniens de faire semblant d’être blessés par les combats en filmant des figurants maquillés (son tweet partage une vidéo issue d’un ancien film libanais), accréditant cette théorie complotiste.
Les pertes civiles palestiniennes ont été justifiées en invoquant les crimes de guerre de l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale (dont Dresden et Hiroshima) alors que ces massacres délibérés de civils n’ont eu aucun effet sur le résultat de la guerre.
Une ancienne ministre de l’Intérieur a ajouté sa voix aux nombreux anciens et actuels dirigeants israéliens plaidant pour un nettoyage ethnique en appelant “à profiter de la destruction pour expulser les 2 millions de Gazaouis vers les pays arabes voisins”.
De nombreux experts parlent ainsi de début de génocide, y compris des spécialistes israéliens de l’holocauste et des hauts responsables de l’ONU. Les combats ont déjà tué ou blessé plus de 2 % de la population de Gaza. Près de deux millions d’entre eux (85%) ont dû quitter leur maison et les ONG parlent d’environ 16 000 morts (ce qui, ramené à la population française, équivaudrait à un demi-million de victimes).
9) Les civils ne sont pas des cibles légitimes (et la disparition du Hamas n’est pas une condition suffisante à la paix)
Considérer les civils de Gaza comme des cibles légitimes ou des dégâts collatéraux inévitables revient à tenir un discours génocidaire et terroriste. C’était exactement l’argument proposé par Ben Laden pour justifier le 11 septembre : les Américains seraient tous responsables des agissements de leur gouvernement, car ils élisent leurs dirigeants. Cette logique est particulièrement ridicule à Gaza :
La moitié de la population n’était pas née en 2006, la seule fois où il y a eu des élections.
Une partie importante de ceux qui étaient nés n’était pas en âge de voter.
Depuis 2006, le Hamas a imposé une dictature sans conduire de nouvelles élections et les (rares) sondages témoignaient de son impopularité.
En 2006, Israël espérait que le Hamas gagnerait les élections, selon des câbles diplomatiques révélés par Wikileaks.
Le Hamas était financé avec le soutien d’Israël, Netanyahou expliquant en 2019 aux parlementaires de son parti “ceux qui s’opposent à la solution à deux États doivent soutenir l’envoi de fonds au Hamas”.
L’argument des boucliers humains n’est pas recevable. Les civils palestiniens ne choisissent pas de rester auprès des combattants du Hamas qui, jusqu’à preuve du contraire, ne les maintiennent pas de force là où ils se trouvent (2 millions de déplacés, rappelons-le). Un tel argument reviendrait à autoriser les drones américains à bombarder le musée du Louvre à une heure de pointe si un dirigeant d’Al Quaida s’y trouvait.
Enfin, certains commentateurs demandent pourquoi les Palestiniens n’entreprennent pas des actions non-violentes. En Cisjordanie, les potentiels “Nelson Mandela” palestiniens sont en prisons (pour terrorisme, accusation qui fait débat) ou morts. À Gaza, le Hamas ne laisse pas beaucoup d’espace pour les mobilisations pacifiques. Cependant, il avait laissé faire “la marche du grand retour” de 2019 ou des dizaines de milliers de Gazaouis marchaient pacifiquement vers la frontière tous les samedis pendant plusieurs mois.
Certes, l’avant garde du défilé a parfois pris des airs de black bloc parisien ou de cortège de tête de Sainte-Soline. Mais la réponse d’Israël a été de massacrer les participants en déployant des snipers. Le bilan est de 348 morts et 9204 blessés côté palestinien et 4 blessés côté israélien. Un sniper s’est vanté d’avoir touché des dizaines de genoux en quelques heures, pouvant les voir exploser dans sa lunette et évoquant les concours de genoux atteints dans sa brigade. Des blessures qui laissent souvent les victimes handicapées à vie.
La disparition du Hamas ne garantirait pas la sécurité des Palestiniens. En 2022, 151 Palestiniens avaient été tués (près de 10 000 blessés) par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem, malgré l’absence du Hamas. Depuis le 7 octobre, le bilan excède les 240 morts. On terminera en citant Jean Quatremer, journaliste français à tendance réactionnaire, opérant sur LCI et obsédé par le wokisme :
“Il faut aller en Cisjordanie pour se rendre compte de la citation. C’est terrifiant. Des colons qui s’installent partout. Et une violence, un racisme. Un apartheid. Les gens sont humiliés en permanence. On se croirait en Afrique du Sud, les Israéliens maltraitent (les Palestiniens), ils les considèrent vraiment comme du bétail, ils les maltraitent, ils entrent dans les maisons et dessinent des croix (…) personne ne peut soutenir Israël en Cisjordanie”.
10) Israël n’est pas face à une menace existentielle et pourrait garantir sa sécurité sans massacrer autant de civils.
C’est l’argument développé par de nombreux experts et analystes (par exemple, ici, là où là). Israël n’est pas face à une menace existentielle. Elle possède (de loin) la plus puissante armée du Moyen-Orient, dotée d’un budget annuel de 18 milliards, de la bombe nucléaire et du soutien inconditionnel de Washington, qui lui offre 3,8 milliards de dollars d’aide militaire par an.
Cela ne veut pas dire que les Israéliens soient en sécurité. Il faut, bien entendu, comprendre la peur suscitée par les attentats terroristes, les barrages de rockettes et le fait d’avoir le Hezbolah et le Hamas comme voisins. Sans parler du traumatisme des victimes et de leurs proches. Mais ces ennemis n’ont pas les moyens de détruire Israël ou de menacer son existence en tant qu’État.
L’attaque du 7 octobre a fait 1200 morts (le chiffre initial était de 1400 mais deux cents corps brûlés à l’extrême se seraient révélés être des membres du Hamas). C’est un traumatisme immense et parfaitement évitable. L’enquête du Washington Post montre à quel point l’attaque était prévisible et aurait pu être contenue si l’armée israélienne n’avait pas déserté la frontière pour aller protéger les colons de Cisjordanie impliqués dans de multiples exactions contre les Palestiniens. Tous les experts s’accordent à dire que le “succès” du Hamas n’a été possible qu’à cause d’un raté invraisemblable. Le contenir à Gaza à l’avenir est tout à fait possible militairement.
À l’inverse, Israël a les moyens de détruire entièrement Gaza (on s’en rapproche) et ses dirigeants parlent ouvertement du projet d’expulser les survivants vers les pays arabes de la région.
Pour autant, Israël pouvait-il faire autrement qu’attaquer Gaza ? Oui, pour de nombreux experts qui estiment que sa réponse affaiblit sa sécurité sur le moyen et long terme. L’idée que l’attaque contre Gaza était inévitable n’a pas plus de sens que de dire que Georges W Bush ne pouvait pas faire autrement qu’envahir l’Afghanistan puis l’Irak.
Il est, à ce titre, significatif de voir le nombre important d’intellectuels israéliens qui s’opposent catégoriquement à l’option stratégique retenue par Netanyahou et présentée comme “inévitable” dans le débat médiatique en France.