Ce qu’Israël est en train de commettre à Gaza est indéfendable et injustifiable, selon Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères. Au minimum, il s’agit de crimes de guerre et d’atrocités bien documentées. Plus vraisemblablement d’un génocide. La Cour Internationale de Justice estime qu’il existe un risque sérieux que cela soit le cas, en se basant sur les actes et les déclarations des dirigeants et militaires israéliens. Le plus invraisemblable est que ces atrocités, y compris les scènes de torture, sont amplement filmées, partagées sur les réseaux sociaux et les médias, rapportées par l’ONU, diffusées par les soldats israéliens eux-mêmes et célébrées explicitement par le gouvernement d’Israël.
Malgré la quantité et la gravité des témoignages, les démocraties occidentales continuent de soutenir Israël à travers l'envoi d’armes, d’argent, de marchandises et d’un appui diplomatique et militaire majeur. Tout se passe comme si nos dirigeants étaient déterminés à aider Israël à aller au bout de sa folie, malgré les risques de complicité de génocide que cela implique.
Ce constat soulève des questions importantes : la situation à Gaza est-elle si terrifiante que l’affirme le tribunal de La Haye, l’ONU et les ONG ? Comment expliquer le soutien inconditionnel occidental ? Quelles seront les conséquences les plus prévisibles ? Cet article en trois parties tente d’apporter quelques éléments de réponse et de nourrir la réflexion sur ce que nous pouvons faire à notre échelle pour limiter l’ampleur de la catastrophe. J’espère que la lecture vous permettra d’adopter un regard plus nuancé et informé sur cette situation. N’hésitez pas à partager cette série d'articles autour de vous.
Partie 1 : C’est bien pire que ce que vous pensez
Depuis le 7 octobre, l’armée israélienne a tué plus de 30 000 Palestiniens, dont plus de 25 000 femmes et enfants, selon le ministre de la défense américain. Le bilan officiel dépasse désormais les 32000 morts. À ces chiffres qui mettent le massacre au niveau du génocide du Rawanda en termes de tués par jour, s’ajouteraient au moins 10 000 disparus sous les décombres et plus de 70 000 blessés. Rapporté à la population française, cela ferait 3,3 millions de morts, disparus ou personnes ayant subi des blessures de guerre. En quatre mois.
Ces chiffres abstraits et très probablement minimisés cachent une horreur absolue. Plus de la moitié des habitations ont été détruites, les neuf dixièmes de la population ont été déplacés (souvent plusieurs fois), les douze universités ont toutes été démolies à la dynamite, les cimetières passés au bulldozer, les boulangeries, écoles, infrastructures de l’ONU et les mosquées ont été délibérément ciblés. La destruction des infrastructures civiles et le ciblage d'enfants font partie intégrante de la doctrine "Dahiya” déployée par Israël et dont le but, au mépris le plus élémentaire du droit de la guerre, est de faire un usage disproportionné de la force pour soumettre la population civile. Comme l’a indiqué le porte-parole de l’armée israélienne au début de l’offensive, « l’accent, dans cette opération, a été mis sur l’ampleur des dégâts, pas sur la précision des frappes ». Soit la définition même du terrorisme.
Une étude de la prestigieuse université américaine John Hopkins estime que la destruction du système de santé (ambulances bombardées, hôpitaux attaqués, médecins, chirurgiens et personnel soignant tués ou traumatisés) est d’une ampleur si profonde qu’il faudra des années pour le reconstituer, ce qui pourrait causer entre 50 000 et 100 000 morts supplémentaires, par simple manque d’accès aux soins. Médecin Sans Frontière affirme que ses opérations sont méthodiquement ciblées. On déplore également la mort de plus de deux cents journalistes et de dizaines d’intellectuels, professeurs d’université, poètes (publiés dans les plus grands journaux américains). Sans oublier les destructions de lieux culturels, de monuments et des archives. Tout est fait pour rendre la bande de Gaza inhabitable et la société gazaouie incapable de se redresser. Les bâtiments situés dans une future “zone tampon” sont systématiquement dynamités et des tracteurs ont commencé à labourer des km2 pour prendre possession de manière plus ou moins symbolique de la terre. On le sait, car les soldats font des selfies, se filment et dédient leurs destructions à leurs proches et amis avant de les poster sur les réseaux sociaux. Face au manque de charges de démolitions, des centaines de bâtiments sont passés au lance-flamme pour les rendre inhabitables, rapporte le média israélien Times of Israël. “On le fait pour que les fumées soient visibles à des kilomètres et intimide la population” ajoute un soldat.
Tragiquement, toutes les atrocités attribuées aux terroristes du Hamas et du Djihad islamique le 7 octobre ont été commises par les soldats israéliens depuis. À commencer par les prises d’otages et la logique de punition collective déployée par les dirigeants israéliens estimant que toute la population de Gaza - y compris les bébés dans les couveuses - est un ennemi méritant la mort. Soit précisément l’argument déployé par Oussama Ben Laden pour justifier les massacres indiscriminés du 11 septembre 2001.
Au-delà des déclarations, il y a les faits. L’armée israélienne animait un forum intitulé “72 vierges” sur le réseau social Telegram où elle diffusait des images de profanation de corps de civils palestiniens tués par les soldats israéliens avec des commentaires moqueurs ou vengeurs. Elle a utilisé les civils comme boucliers humains, comme l’avait documenté l’ONU. La torture systémique est pratiquée contre les prisonniers palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, Israël allant jusqu’à filmer et diffuser une partie de ses exactions. Au moins 27 prisonniers palestiniens sont morts lors de leur détention par l’armée israélienne, qui emprisonne des cancéreux, des seniors et des enfants de moins de 6 ans. Selon le quotidien Haaretz, au moins un diabétique serait ainsi mort après avoir été privé d’insuline et d’autres “seraient morts au cours de leur interrogatoire”. Plus de 1200 civils ont été arrêté lors des premiers jours de l’offensive et n’ont toujours pas vu de juge. Leurs noms ne sont pas connus, note Haaretz, qui déplore que ces inconnus ne reçoivent aucune considération et que leurs familles soient sans nouvelles.
Les violences sexuelles sont systématiquement déployées contre les femmes et fillettes palestiniennes, y compris le viol. Les civils ont été tués à de multiples occasions de manière indiscriminée (au point que trois otages israéliens portant un drapeau blanc et appelant à l’aide en Hébreux aient été tués par l’armée israélienne pour avoir été confondus avec des civils palestiniens). Un programme d’intelligence artificielle nommé “l’Évangile” aide à choisir des cibles pour les bombardements et sélectionne des bâtiments remplis d’enfants en connaissance de cause. Les noms des critiques d’Israël et représentants de la diaspora palestinienne sont fréquemment écrits sur les obus de tanks et bombes qui sont largués sur Gaza, y compris ceux de députés français. Des journalistes israéliens ont été invités à se filmer en train de tirer au canon depuis un char sur des bâtiments de Gaza occupés. Des manifestants israéliens bloquent l’acheminement de l’aide humanitaire avec l’approbation des forces de l’ordre qui répriment pourtant durement les manifestations de familles israéliennes d’otages. Des armes chimiques (phosphore blanc) ont été déployées à Gaza et au Liban, provoquant des brûlures atroces à des enfants. De nombreux témoignages et traces de massacres et exécutions sommaires ont été diffusés, tout comme des vidéos montrant des réfugiés palestiniens dans des tentes aux abords d’un hôpital enterrés vivants par les bulldozers israéliens. Un rapport d’une agence de l’ONU accuse ainsi Israël de multiples exécutions sommaires. Des bébés ont été abandonnés dans des couveuses par l’armée israélienne, les corps ayant été retrouvés dans un état avancé de putréfaction. 118 Palestiniens se dirigeant vers des camions d’aide humanitaire ont été massacrés avec 720 blessés, les chars écrasant des civils ayant survécu aux tirs de fusils d’assaut. Face à l'absence de tollé provoqué par ce massacre, elle a recommencé cinq jours plus tard et massacré de nouveau des dizaines de Palestiniens se rassemblant à un point de distribution de nourriture. L’armée israélienne a même bombardé des bâtiments où se trouvaient ses propres otages en connaissance de cause, en tuant une dizaine.
Mais les morts, la torture et les violences sexuelles de masse ne sont qu’un aspect de la sauvagerie.
Les médecins étrangers volontaires qui reviennent de Gaza, y compris les plus aguerris, témoignent de conditions atroces, d’une ampleur totalement inédite. Un acronyme anglais est désormais couramment utilisé dans les centres de soin : WCNSF pour Wounded Child No Surviving Family (Enfant blessé, unique survivant de sa famille). Dès le 7 décembre, le quotidien britannique The Independant racontait une situation cataclysmique dans les hôpitaux : des centaines d’enfants gravement brûlés, les blessures qui pourrissent, les plaies remplies de vers, les amputations systématiques faute de capacité de soin (pratiqué sur des enfants sans anesthésie) et des morts à ne plus savoir qu’en faire.
L’OMS a ainsi comparé la situation des Palestiniens “aux heures les plus sombres de l’humanité” (la Shoah, donc). Aux violences détaillées plus haut s’ajoute désormais la famine provoquée par le refus d’Israël de laisser entrer l’aide humanitaire (une centaine de camions par jour, comparé aux 500 camions qui entraient avant le 7 octobre) et sans précédent dans l’histoire moderne. Melanie Ward, dirigeante de l’ONG MedicalAid, parle du “déclin nutritionnel au sein d’une population le plus rapide que le monde ait jamais vu”. Au moins une vingtaine d’enfants sont morts de faim et de déshydratation selon les décomptes officiels. À cela s’ajoute le manque de produits sanitaires (en particulier pour les femmes qui doivent faire sans serviettes hygiéniques pendant leurs menstruations), le manque de toilettes, d’eau potable, d’électricité, les coupures internet incessantes, le manque de vêtements pendant l’hiver et tout simplement de toit et d’abris. La liste de produits interdits d'entrée à Gaza par Israël (qui fouille tous les camions d'aide humanitaire) inclut les serviettes hygiéniques, tampons, anesthésiques, dattes, tablettes de purification d’eau et jouets pour enfants. Une soldate israélienne avait posté sur les réseaux sociaux une photo d'elle maquillée devant une plage avec le commentaire : “leur côte est magnifique, ils pourraient faire du surf, mais préfèrent nous attaquer”. Commentaire d'autant plus cruel que depuis des années Israël interdit l’acheminement de planches de surf à Gaza.
Dès la mi-novembre, le responsable du programme humanitaire de l’ONU évoquait sur CNN “la pire situation que j’ai jamais connue, et je pèse mes mots”. Il avait été déployé pour fournir de l’aide humanitaire sous le régime des Khmers rouges pendant le génocide. Même dans le scénario où les centaines de milliers de morts de faim et d’épidémies redoutées par les ONG serait évité, les dégâts irréversibles dépassent déjà l’entendement. Des centaines de milliers d’enfants porteront à vie les séquelles de la malnutrition qui impacte leur développement physique et mental, sans parler des traumatismes profonds inhérents à toute personne ayant été soumis à ce niveau de violence pendant si longtemps.
Il ne se passe pas une journée sans l’émergence d’images et/ou de témoignages insupportables. Un père et son enfant retrouvés morts asphyxiés sous les décombres, se serrant dans les bras. Un homme menotté, terrifié et visiblement torturé a été forcé d’aller dans un hôpital dire aux soignants d’évacuer avant un bombardement imminent. Il a été abattu par un sniper israélien dès qu’il est sorti à découvert. Le témoignage de cette docteur américaine publié dans le Los Angeles Times, qui explique : “ce que j’ai vu n’est pas une guerre, c’est une annihilation”. Elle raconte l’arrivée d’une demi-douzaine d’enfants de 5 à 8 ans ayant tous reçu une balle de sniper dans la tête, amenés par leurs parents sous le choc.
À ces multiples témoignages de médecins humanitaires s’ajoutent les images d’humiliation publique et de conditions de détention inhumaine de prisonniers. Les enfants cadavériques mourant de faim à l’hôpital dans les bras de leurs mères. Ce soldat israélien félicité par ses pairs après avoir reconnu avoir froidement assassiné un septuagénaire sourd qui avait les mains en l'air et suppliait pour sa vie. Ou encore cet officier qui se vante, face caméra, d'avoir pris un“otage” (c'est le terme qu’il emploie) et insiste pour filmer l’enfant en question maintenu en position douloureuse et humiliante. Et que penser de ce prisonnier palestinien (attention image choquante) lentement écrasé par un tank et dont l’image du cadavre méconnaissable a été diffusée sur les réseaux sociaux et a reçu plus de mille “like” ? Ou bien l’histoire de cette famille ayant contacté l’armée israélienne pour demander l’autorisation d’évacuer leur maison avec leur fils handicapé, qui voit les soldats israéliens prendre d’assaut leur logement, abattre le père agitant un drapeau blanc puis forcer la porte et lancer une grenade dans la cuisine, blessant grièvement un enfant à la tête et une femme, avant d’exécuter la mère devant ses enfants. Ces derniers se réfugient dans leur chambre, avant que les soldats ne fassent sauter la porte et les interrogent pendant trois heures, comme l’a rapporté SkyNews. Il s’agit, nous le verrons, d’une scène d’horreur qui égale ou dépasse les pires images contenues dans le film compilé par le gouvernement israélien à l’intention des parlementaires et journalistes occidentaux montrant les crimes commis par le Hamas le 7 octobre.
Le nombre de lignes rouges qui aurait dû déclencher la mobilisation de la communauté internationale dépasse l’entendement. Dans combien d’autres conflits accepterait-on les tirs de snipers qui abattent les infirmières dans les hopitaux ou des femmes catholiques et leur fillette dans une Église ? les innombrables civils exécutés sommairement dont les corps sont laissés à la merci des rats et des chiens ? les multiples images de fosses communes ? Quid des milliers de civils agonisant pendant des heures sous les décombres, des enfants brulés vifs, des images de torture et d’humiliation de masse des prisonniers volontairement mises en scène et diffusées, des mensonges et changements de version des faits à chaque mise en cause ? Le reportage de Clarrisa Ward et les images de Christiane Anapour, toutes deux diffusées sur CNN, auraient dû mettre un terme à cette folie, tout comme l’annonce dès le 7 octobre de la coupure de l’alimentation en eau potable de l’enclave. Imaginez si Israel avait été écrasé sous le bombes au point que la couleur de la région ait changé sur les images satellites et qu’on déplore 200 000 morts ou disparus (un habitant sur 50), hésiterait-on à parler de génocide ?
Pourtant, les États-Unis et l’UE continuent de fournir les armes du massacre à Israël et de lui apporter un soutien militaire, financier et diplomatique. Face à son refus de laisser entrer l’aide humanitaire, nous organisons des largages aériens qui ont déjà tué au moins 5 civils palestiniens. La promesse d’un port militaire temporaire est encore une insulte génocidaire : sa construction devrait prendre deux mois et sa capacité ne sera pas suffisante à éviter le pire, alors que l’armée israélienne continue de prendre pour cible Médecin Sans Frontières et de détourner les camions d’aide humanitaire.
Le gouvernement israélien ne fait pas de mystère de ses intentions, rejetant la solution à deux États, annonçant la reprise de la colonisation en Cisjordanie et y perpétrant des crimes qualifiés par le New York Time de “nettoyage ethnique”. À Gaza, la volonté de rendre l’enclave inhabitable, de réduire la population et de placer le territoire sous contrôle militaire est revendiquée ouvertement par une partie du gouvernement israélien qui souhaite également saisir l’opportunité offerte par le 7 octobre pour accélérer la colonisation de la Cisjordanie et régler le problème du Hezbola en ouvrant un nouveau front au Liban.
Comment expliquer ce déchainement de violence, la complicité indéfendable de nos dirigeants et l’apathie relative de l’opinion publique ? C’est ce que nous verrons dans une seconde partie.
Plusieurs pensées...
Les nazis ont toujours servi d'étalon au génocide. Donc points godwin ci dessous.
Si ça c'est "juste un crime de guerre", la shoah par balle l'est aussi. Enfin ça ressemble plutôt au principe de "Lebensraum": dégager la place pour y mettre son peuple. On peut chipoter en disant qu'ils ne tuent pas les gens parce qu'ils sont palestiniens mais parce que qu'ils ne sont pas juifs. Un peu comme si les nazis avaient tué tout ce qui était à l'Est. Dans la mesure où les russes et autres ont servis d'esclaves ou ont pourri en prison, c'est relatif.
Bibi le corrompu est il le seul coupable? IMHO non. Le fait d'avoir ignoré le problème d'Israël et de ce que subissait les palestiniens est une responsabilité générale, à commencer par les "frères" des palestiniens, les autres pays arabes, qui ne voyaient en eux qu'un prétexte utile pour critiquer les USA et les juifs. Mais disons que bibi nous donne une sacré leçon sur ce qu'un politique est capable de faire pour éviter la taule...
Les juifs sont ils coupables des horreurs de bibi? Non. Pas plus que la totalité des Israéliens. Bibi a réussi à se faire élire par une coalition d'extrémistes, sinon il était détesté de tous.
Les soldats israéliens sont ils bons pour TPI? Certains oui, cf Nuremberg ("j'ai obéï aux ordres" n'est pas une bonne excuse). Il me semble que même l'armée isrélienne enseignait à ses soldats à ne pas obéïr à un ordre infame.
Le Hamas a t il réussi son coup? Oui. Cf FLN et Algérie. Enerve bien l'ennemi par des crimes de guerre pour qu'il réponde à son tour par des crimes de guerre. Et pendant que les civils que tu prétends défendre se font tuer, va bronzer au loin.
Pourquoi les US financent ils Israël? Pour se garder un allié obligé au Moyen Orient.
L'Europe doit elle continuer à aider Israël? Non. On a l'Ukraine à protéger en priorité -qui accessoirement est plus légitime-, et si les élus US reps pensent que l'Ukraine ils s'en foutent, je ne vois pas pourquoi l'Europe aiderait les intérêts US.
Ma solution au problème? Passer la région au nucléaire pour que plus personne ne veuille y vivre? Interner bibi avant que ça ne dégénère encore plus? Je ne sais pas.
Est-ce que je regrette que les soldats allemands de 39-45 et les japonais en chine (même époque) n'aient pas eu de smartphone et internet? En un sens. Ca aurait facilité le boulot du TPI.
Shoa 2.0