Coups d'éclat et coup d'État
Après des semaines de consultation, Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier, issu de LR et soutenu par le RN, à Matignon. Coup d'État ou coup d'éclat ?
Les législatives de 2024 ont livré trois verdicts complémentaires : la première place de la gauche « NFP », porteuse d’un programme radical, le rejet du gouvernement et le succès du front républicain. Macron a choisi de renier ces trois enseignements en nommant Michel Barnier, qui s’était prononcé contre le front républicain, à Matignon. Il obtient le poste avec le soutien explicite de Marine Le Pen.
Après son refus de nommer Lucie Castets, le Président a multiplié les consultations et entretiens pour trouver une alternative au Nouveau Front populaire. Quitte à “ériger le RN en position d’arbitre” et de faiseur de rois, comme le notait Le Monde. Michel Barnier avait fait une campagne axée sur l’immigration en reprenant les propositions du RN et en contestant le droit européen lors des primaires de LR pour la présidentielle de 2022. Lorsqu’il était député, il s’était illustré par ses votes très droitiers. Plutôt qu’un gouvernement issu de la gauche et « tenu » par la menace d’une censure du centre droit, Macron a préféré un gouvernement de droite dure, tenu par la menace d’une censure de l’extrême droite.
Dès lors, peut-on parler de coup d’État ou de coup d’éclat ? Et que penser de la stratégie du NFP, largement impulsé par un autre “stratège décrié”, Jean-Luc Mélenchon ? Retour sur cette séquence politique inédite et analyse des perspectives.
Dissolution : le coup d’éclat du Président
Emmanuel Macron a subi une défaite historique aux élections européennes de juin 2024. Ce n’est pas la première fois que le parti au pouvoir encaisse une déconvenue à un scrutin intermédiaire. Du temps de l’alternance PS / droite républicaine, c’était devenu la norme. Mais cette humiliation faisait suite à une première défaite relative aux législatives de juin 2022, où la coalition d’Emmanuel Macron était arrivée seconde au premier tour et n’avait pas obtenu de majorité absolue au deuxième. Il s’en était suivie une situation politique inédite où le gouvernent a multiplié les 49-3 tout en échappant aux multiples motions de censure instiguées par LFI, grâce à l’abstention de la droite LR et du RN.
Emmanuel Macron aurait pu continuer à gouverner ainsi, en prenant appui sur LR pour passer ses réformes de casse sociale (cf. la réforme des retraites) et sur le RN pour passer ses lois sécuritaires et anti-immigration. À la surprise générale, il a choisi de dissoudre l’Assemblée une heure après l’annonce des résultats des Européennes, plongeant la société française dans le chaos.
Emmanuel Macron pensait jouer à “pile je gagne, face tu perds” avec les Français. Pile, les électeurs de gauche faisaient de nouveau barrage à l’extrême droite et reconduisaient sa majorité au pouvoir. Face, c’est le RN qui arrivait en tête. Selon Le Monde, le président de la République se réjouissait d’une cohabitation avec Jordan Bardella. Il aurait ainsi pu incarner le rempart contre le racisme en s’opposant à son Premier ministre. Or, comme le rapportait le site Politico, Emmanuel Macron était déterminé à nommer immédiatement Jordan Bardella à Matignon, même si le RN n’obtenait qu’une majorité relative.
Tout le système politico-médiatique avait anticipé cette issue. France Inter a viré ses humoristes les plus impertinents, l’ARCOM (chargé de faire respecter la pluralité des médias audiovisuels) a déroulé le tapis rouge au milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré, la direction de BFMTV avait demandé que davantage d’éditorialistes “droite et droite +” interviennent sur ses plateaux déjà déséquilibrés. Le MEDEF et le patronat se rapprochaient du parti de Le Pen. Bref tout semblait en place pour accompagner l’arrivée de l’extrême droite raciste au pouvoir. Et pour s’assurer que la gauche n’aurait pas le temps de déjouer son plan machiavélique, le Président a convoqué l’élection en plein mois de juillet, dans le délai le plus court permis par la constitution (20 jours), deux semaines avant l’ouverture des Jeux olympiques. Le pari étant que la gauche ne parviendrait pas à s’unir à temps.
Mais le Rassemblement national n’est pas un “simple” parti d’extrême droite comme on peut en voir au gouvernement dans d’autres démocraties (Meloni en Italie, Trump aux USA pendant 4 ans, etc.). Le Rassemblement National est un parti fasciste et raciste qui n’est pas parvenu à cacher ces faits aux électeurs. Que ce soit à cause de la grosse centaine de candidats plus ou moins néonazis dont le passif a été révélé par la presse indépendante, l’explosion des actes et agressions racistes et homophobes commis par ses militants, milices sympathisantes et électeurs pendant la campagne éclair. Ou par les propositions de Jordan Bardealla sur les binationaux, qui a rappelé à tout le monde que le projet du RN était de trier les citoyens entre bons et mauvais français pour leur appliquer des lois différentes.
La bourgeoisie française était très majoritairement prête à accompagner l’arrivée des fascistes au pouvoir. Du JT de France 2 à l’Élysée en passant par le nouvel homme fort du PS, Raphaël Glucksmann, qui a tout fait pour empêcher la formation d’un “nouveau front populaire”. Mais c’était sans compter sur deux éléments : les Français, et la France Insoumise.
Les premiers ne sont pas mûrs pour le fascisme, contrairement à leurs élites économiques et médiatiques. Ils sont beaucoup moins “droitisés”, comme le démontre le dernier ouvrage du sociologue Vincent Tberj. La seconde a fait preuve d’un sens tactique et d’une responsabilité devant l’histoire qui, si on met de côté certains couacs et erreurs difficilement pardonnables, se sont avérés salutaires.
Les coups d’éclat de LFI
LFI a immédiatement décidé d’offrir 100 circonscriptions au PS, permettant à ce parti moribond, qui avait obtenu 1.73 % des voix aux présidentielles de 2022 et 6.3 % en 2017, de redevenir un acteur incontournable de la politique française. Menacés de disparition après un score abyssal aux Européennes, élection pourtant taillée pour son succès, les écologistes d’EELV se sont empressés de négocier sans condition avec les Insoumis. Rendant de fait les réticences du PCF et de l’aile droite/Glucksmann du PS caduques. Tout ceci n’aurait pas été nécessaire si, comme l’avait imploré LFI, la “NUPES” avait pu proposer une liste unique aux Européennes de 2024. Les insoumis avaient accepté d’offrir la tête de liste à EELV et de répartir les sièges sur la base des élections de 2019, pas de la présidentielle de 2022. Mais EELV pensait obtenir plus de députés en partant seul, comme l’avait reconnu textuellement sa première secrétaire Marine Tondelier. D’où le score écrasant du RN aux Européennes et cette législative anticipée qui menaçait jusqu’à la cohésion de la société française.
Jean-Luc Mélenchon a accepté de ne pas être candidat à Matignon (contrairement aux législatives de 2022), de ne pas être candidat à la députation (contrairement aux législatives de 2017), de faire des concessions importantes sur le programme (contrairement à 2022), de saluer la candidature de François Hollande (qui, de son côté, lui intimait, lui, de “se taire” et de se mettre à l’écart). Bref, Mélenchon a permis la formation de ce “Nouveau Front populaire”, tout comme tant d’autres acteurs politiques, citoyens et associatifs. Le danger de l’extrême droite et les nouvelles investitures ont contraint les membres du PS anti-NUPES (Anne Hidalgo, Raphaël Glucksmann, Carole Delga, le maire de Rouen Mayer-Rossignol) de faire profil bas et d’appeler à voter NFP, malgré la nature “radicale” du programme imposé par LFI. En dépit des sondages alarmistes, ce NFP a obtenu de bons scores au premier tour, se hissant à 1 % du RN et très largement devant l’alliance macroniste.
Dès 20h05, Jean-Luc Mélenchon a annoncé le retrait de tous ses candidats arrivés troisièmes dans des triangulaires avec le RN, sans condition. Au point de faire des choix extrêmement contestés en interne : le désistement des candidats insoumis face au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et face à Elizabeth Borne (qui avaient pourtant tous deux multiplié les déclarations visant à “exclure” LFI de “l’arc républicain”).
En agissant ainsi, Jean-Luc Mélenchon a rapidement rendu intenable la position du “ni-ni” (pas de voix à la gauche, pas de voix au RN, pas de désistement de candidats) souhaitée par Emmanuel Macron. De plus, son Premier ministre furieux (Gabriel Attal) a compris qu’il jouait son avenir politique sur sa capacité à éviter la défaite historique que lui promettaient les sondages (entre 50 et 70 sièges), ce qui nécessitait de faire d’abord campagne contre le RN (contrairement à Emmanuel Macron, qui a tenté de mettre un signe égal entre RN et NFP) et d’accepter la logique du Front républicain.
Si la Macronie et LR ont effectué moitié moins de désistements que le NFP, si leurs électeurs ont voté deux fois plus pour le candidat RN que les lecteurs du NFP lors de duels avec le RN, ce front républicain imposé contre la volonté d’Emmanuel Macron et d’une grande partie de la classe médiatique a tenu bon. Et le NFP est arrivé nettement en tête.
De manière tout à fait inattendue, la gauche s’est retrouvée en position de gouverner, alors même que ses difficultés électorales s’expliquent en grande partie par le fait que son programme populaire (abrogation de la réforme des retraites, hausse des salaires, investissement massif dans les services publics) est jugé inapplicable (car un tel programme ne peut “gagner” selon la conscience collective).
Encore fallait-il contraindre Emmanuel Macron à nommer un Premier ministre issu du NFP (notons, au passage, que cette perspective n’a pas provoqué de panique sur les marchés financiers, contrairement à l’annonce de la dissolution prononcée par Emmanuel Macron et sa lenteur à nommer un Premier ministre).
Jean-Luc Mélenchon a renoncé à imposer son candidat au poste de Premier ministre (Clémence Guetté, un profil beaucoup plus lisse que les autres cadres insoumis) puis a accepté de proposer un candidat au poste du Premier ministre proche du PS (Lucie Castets). Devant les menaces de censure de ce gouvernement NFP par la Macronie, LR et le RN, Jean-Luc Mélenchon a même proposé qu’aucun insoumis ne participe au gouvernement.
Ce “coup d’éclat” de Mélenchon a mis en lumière le caractère antirépublicain, antidémocratique et putschiste de tout ce qui n’est pas le NFP en France. L’idée que la présence d’insoumis au gouvernement constituait une ligne rouge n’était qu’un prétexte pour refuser que s’applique un programme de gauche modéré en France. Même l’ancien président Sarkozy y est allé de son élan putschiste en poussant le nom de Darmanin auprès de l’Élysée. Bernard Cazeneuve, qui avait quitté le PS pour protester contre la formation du NFP, a annoncé accepter Matignon. Mais face à la menace de censure issue de la direction du PS, qui a voté une résolution affirmant son refus de compromis avec le programme du NFP, cette solution a été écartée par l’Élysée.
En clair, nous vivons dans une démocratie où le choix se limite à la politique d’Emmanuel Macron et ses nuances de droite et d’extrême droite. Il ne s’agit pas simplement d’opposition, mais du refus pur et simple de céder le pouvoir à des élus défendant une autre ligne.
Le Coup d’État d’Emmanuel Macron
Le gouvernement démissionnaire d’Emmanuel Macron a gouverné le pays pendant près de deux mois. Non seulement le président a joué la montre (en instrumentalisant les JO puis en multipliant les consultations), mais toutes les informations rapportées par la presse faisaient état du même constat : Emmanuel Macron cherchait à imposer un Premier ministre qui donnera l’impression d’une cohabitation tout en poursuivant sa politique. Il veut nommer lui-même les ministres des Finances, de l’Intérieur, des armées et des Affaires étrangères, rapporte Libération. Et avait déjà choisi le Directeur de cabinet du futur PM : un fidèle du président.
Le poste de DirCab joue un rôle majeur dans l’orientation d’un Premier ministre (et donc, du gouvernement). Il est normalement nommé par le PM lui-même. Sauf si le Président impose son DirCab comme condition à la nomination.
Autrement dit, Emmanuel Macron compte continuer de gouverner comme s’il n’avait pas perdu les Européennes et les législatives. En l’espace de quatre semaines, les Français se sont massivement déplacés aux urnes pour réclamer un changement de politique. L’abrogation de la réforme des retraites portée par le NFP et (en théorie) le RN a récolté plus de 2/3 des voix. Le Président de la République refuse d’entendre cela.
Lorsque le dirigeant d’un pays n'accepte pas de céder le pouvoir en dépit d’une double défaite électorale, on parle normalement de coup d’État. Pourtant, la nomination de Barnier est présentée comme un choix "de consensus”, France Inter et Le Monde répétant cet élément de langage totalement déconnecté de la réalité politique.
Michel Barnier s’’était opposé au front républicain. Il est nommé avec le soutien du RN et des députés LR et macronistes qui doivent leur élection au front républicain.
Les justifications distillées par la presse bourgeoise et la Macronie pour justifier cet invraisemblable déni démocratique sont toutes plus absurdes les unes que les autres.
La première serait qu’un gouvernement Lucie Castets (haute fonctionnaire, proche du PS, pas du tout une radicale) serait immédiatement censuré par le Parlement. Le RN a effectivement indiqué qu’il censurerait tout gouvernement comportant des ministres insoumis ou écologiques, ce qui montre bien au passage que le problème n’est pas l’affreux Mélenchon et sa bande.
En admettant que la censure soit immédiate, elle aurait permis de mettre un terme à l’option “NFP” et aurait clarifié la situation : les partis politiques vecteurs d’instabilité et de chaos auraient alors pu être clairement identifiés (LR, le RN et la Macronie). Du reste, Emmanuel Macron aurait très bien pu nommer Castets et demander à ses députés de ne pas voter immédiatement la censure.
Si Emmanuel Macron n’a pas voulu suivre ce processus démocratique, c’est qu’il a eu peur que le RN ne censure pas immédiatement Lucie Castets (toujours selon les propos rapportés dans la presse). Car ses premières mesures auraient été l’abrogation des décrets d’application de la réforme des retraites et la hausse du SMIC.
Emmanuel Macron a ainsi indiqué qu’il refusait tout gouvernement du NFP en invoquant le risque que ferait passer l’abrogation de la réforme des retraites et la hausse du SMIC sur les marchés financiers. Un argument problématique à de multiples niveaux. Tout d’abord, ce n’est pas au président deux fois battu aux élections de décider ce qui est bon ou pas pour la France. En démocratie, le peuple décide. Ensuite, c’est bien Emmanuel Macron qui a conduit la France au bord de la faillite. Il était lui-même conseiller économique puis ministre de l’Économie de Hollande avant d’arriver au pouvoir. Ce sont ses mesures qui s’appliquent depuis 2012, avec un résultat désastreux, y compris du point de vue des marchés financiers et des finances publiques (1000 milliards de dette supplémentaire en 5 ans). Rappelons que les agences de notations ont dégradé par deux fois la note de la dette française depuis 2022. Et c’est lui qui, par la lenteur de son choix de Premier ministre, stresse de nouveau les marchés.
La raison de l’écartement de Castets est tout autre. L’abrogation de la réforme des retraites et une politique de gauche ne serviraient pas les intérêts des soutiens d’Emmanuel Macron et détruiraient sa “légende politique” pour faire de ce “réformateur de génie” un cancre ayant conduit la France au bord de la faillite puis précipité l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche défaisant ses principales réformes.
Car il n’est pas certain que le RN aurait immédiatement voté la censure d’un gouvernement Castets, quoi qu’en dise Marine Le Pen. Aurait-elle été prête à frustrer ses électeurs en renonçant à abolir la réforme des retraites alors qu’elle avait elle-même fait de cette promesse l’un de ses chevaux de bataille ?
En refusant de laisser le gouvernement NFP affronter le risque d’une censure, Macron protège son parti et l’extrême droite de tout “prix politique à payer”. Et en promettant dans le cas contraire la censure, le RN donne une couverture à Emmanuel Macron. Il s’agit ni plus ni moins d’une alliance tacite entre le Président, la droite et l’extrême droite. Alliance facilitée par l’écrasante majorité des médias, qui accompagnent ce coup d’État bourgeois en normalisant la nomination de Barnier au lieu de la décrire pour ce qu’elle est : une cohabitation avec le RN. Soit exactement ce que les Français ont souhaité éviter en votant massivement pour le “front républicain” au second tour des législatives.
La stratégie du NFP était-elle la bonne ?
Les médias français évitent soigneusement de parler de coup d’État ou de violation gravissime des principes démocratiques. Contrairement à la presse internationale qui s’inquiète d’une grave dérive autoritaire (The Guardian, New York Time, etc.). Dans le meilleur des cas, les journalistes hexagonaux évoquent un problème démocratique tout en rejetant une partie de la responsabilité sur le NFP. C’est notamment le cas du journal Le Monde, par la voix de son éditorialiste phare, Françoise Fresnaud.
Après que les Insoumis aient proposé de ne pas participer au gouvernement, on a reproché à la gauche de vouloir appliquer son programme. De nombreux acteurs du débat public estiment que la stratégie NFP est responsable de la nomination de Barnier, y compris l’aile droite du PS. En fermant la porte à une coalition avec la Macronie pour appliquer un programme de compromis (lequel ? mystère) ou en doutant de l’hypothèse Cazeneuve, la gauche “Mélenchonisée” aurait contraint Macron a recruter un PM sur sa droite.
En réalité, il faut être spectaculairement idiot ou profondément cynique pour adhérer à cette thèse.
Notons, tout d’abord, que Michel Barnier avait été considéré par l’Élysée dès le 2 juillet, selon les révélations de la presse. À aucun moment Emmanuel Macron n’a envisagé autre chose que son plan initial : gouverner avec le RN ou poursuivre comme avant.
Ensuite, fustiger le NFP pour son attachement à son programme, qui plus est au nom du respect de la démocratie, n’a aucun sens. Surtout lorsque ce programme est aussi populaire et constitue un antidote au vote d’extrême droite. Si des formations politiques associées au NFP gouvernaient en s’alliant avec Macron, la gauche serait décrédibilisée. Et le RN aurait un tapis rouge pour 2027. La gauche est structurellement faible, car elle paye la parenthèse libérale de Jospin, le tournant de la rigueur de Mitterand et la trahison de François Hollande. Vouloir de nouveau trahir les électeurs avant même d’être au pouvoir revient à signer l’arrêt de mort de la gauche française.
D’où un autre raisonnement presque aussi absurde : certains pensent qu’il est préférable que le NFP ne gouverne pas, afin qu’il évite de trahir ses électeurs et de faire le jeu du RN.
C’est partir du principe que le NFP ne pouvait que décevoir. Pourtant, il suffit que la réforme des retraites soit abrogée et le SMIC à 1600 euros établit (par décrets) pour que le NFP, même censuré dans la foulée, fasse la preuve irréfutable de son utilité. La gauche aurait alors un boulevard pour 2027, car la vieille idée selon laquelle ses propositions seraient inapplicables ou que celle-ci trahit ses promesses électorales serait caduque.
Des gens comme François Bayrou, enfin, avançaient un autre argument improbable : le NFP ne devait pas gouverner, car il ne représente qu’un tiers des électeurs, il a gagné grâce au barrage républicain et ne dispose pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Vous aurez noté qu’il s’agit précisément de la description du gouvernement d’Emmanuel Macron depuis 2022 (sans parler de son élection contre Le Pen en 2017). Et que dire de Michel Barnier, dont le parti a obtenu 5.4 % des suffrages et 150 députés de moins que le NFP ?
Même si l’alliance droite LR et Macronie, avec le soutien explicite du RN, sera en mesure de gouverner, nier aux Français le changement espéré reste une spectaculaire violation des principes démocratiques et de l’esprit républicain.
Et c’est pour cela que les médias ont multiplié les sondages tendant à établir que la majorité des Français est opposée à la formation d’un gouvernement NFP. À ce niveau, autant ne plus organiser d’élections et tout faire par sondage. Mais même selon cette logique, on voit que l’argument ne porte pas : les Français sont très majoritairement pour l’abrogation de la réforme des retraites, l’amélioration des services publics et la hausse du SMIC. Ce qui en dit long sur l’utilité et la pertinence des sondages.
Du reste, lorsque Gabriel Attal a été nommé à Matignon, seuls 40 % des Français approuvaient la décision (autant que pour l’hypothétique nomination de Lucie Castets). Et un Français sur deux approuve la proposition de destitution d’Emmanuel Macron déposée par le groupe parlementaire LFI.
Si Macron peut nommer Barnier, c’est uniquement parce que l'extrême droite (arrivée troisième) et la macronie (arrivée seconde grâce au barrage républicain et aux multiples désistements des candidats de gauche) soutiennent ce choix. Conclusion ?
Nous assistons à un coup d’État bourgeois contre toute alternative politique au néolibéralisme économique. Et à une alliance désormais explicite de la droite (macronienne inclue) avec l’extrême droite. Les dégâts démocratiques risquent d’être considérables : comment convaincre les électeurs de se déplacer aux prochaines élections (et de faire barrage à l'extrême droite) si leur vote est aussi ouvertement méprisé ?
La censure du gouvernement Barnier devrait constituer un impératif démocratique, tout comme le vote en faveur de la destitution d’Emmanuel Macron. Mais il n'est pas certain que toutes les composantes du NFP se montrent à la hauteur…