Crise climatique : time to panic ?
Malgré un été "infernal" et des scientifiques déboussolés par l'accélération du réchauffement, nos dirigeants se murent dans un climato-scepticisme plus ou moins assumé.
En Europe et cette année, nous avons vécu ce qu’il est commun d'appeler un “été pourri”. Et ce n’est pas les quelques jours de canicule exceptionnelle à la fin du mois d’août et début septembre qui changeront cette perception pour les millions de vacanciers désabusés et les commerçants déçus.
Mais à moins d’avoir passé l’été dans un sauna au fond de la Norvège à prier pour le retour du soleil, vous avez certainement entendu parler de ce qui se passait ailleurs dans le monde. Le mois de juillet, a été le plus chaud jamais enregistré sur Terre depuis plusieurs milliers d’années, de très loin. La température des eaux de surface de l’Atlantique a explosé tous les records. En Floride, elles ont atteint celles d’un jacuzzi. En Arizona, les 110 degrés Fahrenheit (48 degrés C) ont été atteints 31 jours de suite, effaçant le record des 18 jours consécutifs précédemment établi.
Un peu partout dans le monde, cette chaleur exceptionnelle a été accompagnée de catastrophes plus spectaculaires et dramatiques les unes que les autres. Pourtant, le plus terrifiant n’est peut-être pas les images d’écoliers français qui se battent pour une bouteille d’eau à Mayotte, la région de Thessalie (Grèce) transformée en lac géant avoir été ravagée par les flammes, ni les courbes annuelles de températures moyennes, mais les réactions de nombreux dirigeants et leaders d’opinion de par le monde.
The day after tomorrow
En proie à une intense sécheresse, l’ile de Maui, dans l’archipel d’Hawaï, a été ravagée par les flammes. En quelques heures, la station balnéaire de Lahaina a été quasiment rayée de la carte. Le bilan provisoire faisait état de cent quinze morts, cinq milliards de dollars de dégâts matériels et des centaines de disparus. La superposition de vents violents aggravés par le réchauffement climatique et les canicules en a fait l’incendie le plus meurtrier des États-Unis depuis un siècle. Une tragédie qui s’ajoute à une longue liste d’événements climatiques extrêmes.
Le début de l’été avait été marqué par des feux de forêt monstrueux au Canada qui ont rendu l’air de New York irrespirable et déplacé plus de 150 000 habitants (l’équivalent du quart de la surface de la France métropolitaine ou l’ensemble des forêts françaises est parti en fumée, relâchant en quelques semaines autant de gaz à effet de serre que l’Italie en une année). Puis c’est le pourtour méditerranéen, de la Grèce à la Sicile en passant par l’Algérie, l’Espagne et la Corse, qui a été dévasté par les flammes. Obligeant des dizaines de milliers de touristes à fuir leurs hôtels paradisiaques à pied et en maillot de bain. Une mégalopole comme Palerme (2 millions d’habitants) s’est retrouvée encerclée par les incendies. En Allemagne, des villes ont été dévastées par des orages de grêle. L’État de New York a subi des inondations comme on en voit tous les mille ans dans la région. En Espagne les inondations continuent de causer des dégâts considérables. En Norvège, elles ont emporté un barrage conçu pour résister aux intempéries. La Chine déplore des dizaines de morts et plus d'un million d'évacués suite aux plus fortes précipitations enregistrés depuis 140 ans. En Iran, les records de chaleur à plus de 50 degrés ont forcé le gouvernement à mettre en place des jours fériés supplémentaires. Dans l’hémisphère sud, une vague de chaleur hivernale a dépassé la barre symbolique des 100 degrés Fahrenheit (38 degrés Celsius) dans plusieurs régions des Andes. Aux États-Unis, le Nevada a connu son premier ouragan tropical. Pour le sud de la Californie, un tel événement n’avait plus eu lieu depuis 84 ans. En France, un éboulement massif causé par la détérioration des conditions climatiques a bloqué l’autoroute A43 desservant la vallée de la Maurienne pendant des jours et provoquant “un impact économique dramatique”.
Ce ne sont là que quelques exemples, auxquels il faudrait ajouter la fonte spectaculaire des calottes glacières, les difficultés alimentaires qui touchent le Pakistan et l’Inde, les moussons, ouragans et vagues de chaleur d’une rare intensité qui dévastent l’Asie du Sud-Est. Sans parler des effets catastrophiques sur la biosphère, les coraux, les cultures et les écosystèmes.
Au-delà de leur aspect tragique, ces événements pointent deux évidences.
Premièrement, personne (ou presque) ne semble être à l’abri. Le trader dans son gratte-ciel New-Yorkais ne pouvait plus mettre le nez dehors pendant que le Canada brûlait. De richissimes Californiens ont dû s’échapper du festival Burning Man en marchant dix kilomètres dans un désert transformé en lac de boue géant. Les avions du tout nouvel aéroport de Pékin ont été cloués au sol par les pluies diluviennes. Les touristes fortunés venus bronzer à Hawaï ont dû se jeter dans l’océan pour survivre aux flammes. Même la Norvège, terre de refuge par excellence des survivalistes, a connu son lot de désastres. Quant aux risques imminents de pénuries d’eau, ils touchent aussi bien l’Afrique du Sud que les États-Unis, la France ou la Grande-Bretagne.
Deuxièmement, les choses semblent se dégrader plus vite que prévu. On savait déjà que les calottes glaciaires fondaient à un rythme supérieur aux prédictions des scientifiques. Qu’en est-il du réchauffement climatique ? Un article du New York Times notait :
Les modèles ont établi des projections de l’ampleur du réchauffement des océans et les niveaux observés en juillet se situent dans la fourchette prévue, bien qu’ils occupent son sommet (…) Cependant, dans l’Atlantique Nord, les températures ont dépassé les prévisions des modèles climatiques. Cela suggère que “quelque chose de hors-norme est en train de se produire”selon le climatologue Zeke Hausfather.
Tout juste nommé à la tête du GIEC, le scientifique Jim Skea vient de déclarer :
“Nous l'avions prédit, mais je pense que cela se déroule probablement plus vite. Cela a surpris tout le monde, je crois, la vitesse à laquelle les choses se passent”.
Ce qui explique certainement pourquoi le secrétaire général de l’ONU parle du début de l’ère du “bouillonnement climatique” et affirme que “l’effondrement climatique a commencé”
Parce que le réchauffement climatique est un phénomène gloabal, lent et graduel, le cinéma Holywoodien ne produit pas de film catastrophe centré sur ce thème. « The day after Tomorrow” (le Jour d’après) constitue une exception notable. Dans ce blockbuster de 2004, la fonte des glaces provoque l’arrêt brutal du courant marin du Gulf Stream, ce qui précipite un vortex polaire dévastant tout sur son passage. Le scénario tordait la science pour faire entrer la catastrophe climatique dans un format propice au genre. Au risque de se couvrir de ridicule.
Désormais, l’hypothèse d’un emballement Holywoodien ne semble plus aussi absurde. Entre les forêts qui disparaissent à vue d’oeil, les océans qui se détraquent plus vite que les prévisions les plus pessimistes, les rejets de méthane consécutifs au recul du permafrost et les calottes glaciaires qui fondent comme neige au soleil (rappelons que cela entraîne une montée des eaux, une perturbation potentielle des courants marins et une boucle de rétroaction puisque davantage de rayonnement solaire est absorbé par la Terre au lieu d’être réfléchi), le scénario “catastrophe” devient plausible. Pas en quelques jours, mais en quelques années. Une étude récente estime, par exemple, que les courants marins pourraient être profondément perturbés par la fonte des glaces dès 2050. Et que le Gulf Stream risque de s’arrêter brutalement dès 2025. Soit dans 26 ans, ou 18 mois (respectivement) !
Du reste, la dystopie n’est plus une hypothèse lointaine. Nous vivons déjà dedans.
Apocalypse now
Au Mexique, des milliers de réfugiés sont parqués dans des camps à la frontière avec les États-Unis, dans l’attente d’être en mesure de déposer une demande d’asile aux postes-frontière. Soumis à une chaleur étouffante, ils meurent par centaines. D’autres entreprennent de traverser la frontière clandestinement. Pour empêcher leur passage, le gouverneur républicain du Texas a illégalement fait installer des kilomètres de barbelés le long du Rio Grande et des barrières flottantes au milieu du fleuve. Elles ont déjà provoqué des drames, un enfant de cinq ans ayant été mutilé. Loin de faire marche arrière, le gouverneur a doublé la mise. Une nouvelle version de cette barrière flottante a défrayé la chronique du fait de son invraisemblable cruauté : entre les énormes bouées rouges en PVC, la barrière contient de larges disques circulaires en métal conçus pour mutiler les personnes qui s’accrocheraient. Le fait qu’elles soient cachées entre les bouées ajoute un nouveau degré dans l’inhumanité du dispositif, qui ne semble pas conçu pour dissuader les réfugiés de traverser la rivière, mais pour les piéger dans les bouées afin de provoquer de graves blessures risquant de s’infecter.
Si elle représente un cas extrême, ce type d’initiative est en passe de devenir la norme. Le Royaume-Uni a mis à l’eau une première prison flottante aux allures dystopiques pour incarcérer les réfugiés qui réussiraient à s’approcher de leurs côtes. La France a depuis longtemps adopté une approche visant à harceler les migrants présents sur son sol et laisse fréquemment des embarcations de fortunes couler aux abords de ses côtes, y compris dans la manche. L’Union européenne paye les régimes autoritaires de l’Afrique du Nord pour parquer les migrants dans le désert, où nombre d’entre eux meurent littérairement de soif lorsqu’ils ne sont pas réduits en esclavage, violés et torturés. Des garde-côtes grecs ont laissé un bateau de migrant chavirer, causant la mort de dizaines d’occupants. La prochaine étape consistera à tirer à vue. Ce que fait déjà l’Arabie Saoudite, selon Human Right Watch.
Le schéma logique des conséquences du réchauffement climatique se résumait, depuis les années 1980, au même scénario apocalyptique. La hausse des températures provoque une augmentation des événements climatiques extrêmes, la montée du niveau des mers et une sécheresse durable qui rend inhabitables des territoires entiers. Ces tensions provoquent des confits, famines et épidémies qui jettent des millions d’êtres humains sur les routes à la recherche de zones habitables. Les pays du « nord » se retrouvent face à un afflux de réfugiés. Ce qui pose la question de leur accueil. Les démocraties libérales résisteront-elles à la montée du fascisme qui serait concomitante aux refus d’aider les réfugiés climatiques? L’exemple du Texas nous livre des premiers éléments de réponse. Celui de la Grèce également. Pendant que le gouvernement fait l’autruche, médias et politiques accusent les migrants de provoquer les incendies qui ravagent le pays. On en arrive ainsi au point où les populations locales, au lieu de s’en prendre à leurs dirigeants et aux pollueurs, mettent en place des milices pour réaliser des battues anti-migrants.
Si la Grèce constitue un exemple terrifiant de société sombrant dans le fascisme par une combinaison de politiques économiques désastreuses et d’événements climatiques extrêmes, nous ne sommes pas à l’abri d’un tel “effondrement” dans les pays les plus riches de la sphère occidentale.
Pour quelques dollars de plus
Face à la crise climatique, les dirigeants se divisent en deux catégories. Ceux qui ne font rien ou presque tout en faisant semblant de faire quelque chose, et ceux qui creusent. Ou plus exactement, qui souhaitent ouvertement accélérer la catastrophe.
S’il reprend le pouvoir en 2024, le parti républicain a déjà un plan détaillé pour défaire les modestes avancées écologiques mises en place par l’administration Biden. Concocté par la Heritage Fondation, un think tank abreuvé d’argent par les dons de ses sponsors (milliardaires, industrie pétrolière …) il prévoit rien de moins qu’une guerre ouverte au climat et à la planète, sous la forme d’une feuille de route pour les 180 premiers jours de la nouvelle administration. 350 auteurs ont travaillé à la production de ce document, avec un budget de 22 millions de dollars, selon The Guardian. Au programme : le démantèlement de diverses agences gouvernementales essentielles à la transition énergétique, des décrets et directives pour empêcher le déploiement des énergies renouvelables et supprimer les régulations faisant obstacle aux forages pétrogaziers, la suppression de normes permettant d’encourager la sobriété énergétique… autant d’actions qui pourraient être entreprises sans l’aval du Congrès.
En parallèle, les élus républicains à la Chambre des représentants tentent de profiter du levier conféré par leur majorité pour inclure des amendements dans le vote du budget de 2024. Qualifiées de “pilules empoisonnées”, ces dispositions visent à déconstruire les avancées obtenues par Joe Biden en matière d’investissement pour la transition énergétique et la protection de l’environnement. À la manœuvre, on retrouve les élus les plus lourdement financés par les lobbies pétrogaziers.
Aucun candidat républicain aux primaires du parti n’a reconnu la nécessité d’agir pour le climat, tandis que le plus médiatisé d’entre eux (après Trump), le milliardaire Vivek Ramaswamy, a déclaré que le réchauffement climatique était un “canular” avant d’affirmer qu’il fallait extraire “plus de pétrole, plus de gaz et plus de charbon”.
Face à ces projets génocidaires, l’alternative démocrate ne paye pas de mine. Joe Biden a autorisé davantage de projets pétroliers que Trump et Obama, par peur de s’aliéner les industriels. Il refuse de déclarer “l’État d’urgence climatique”, une disposition qui lui conférerait des pouvoirs supplémentaires pour agir par décret, et continue de subventionner massivement les énergies fossiles.
Les États-Unis ne font pas exception. En Angleterre, le gouvernement conservateur vient d’annoncer un grand plan de relance de l’industrie pétrolière et doit autoriser une centaine de nouvelles concessions en mer du Nord.
La détermination à activement détruire l’habitabilité de la planète et accélérer la crise climatique n’est pas l’apanage des gouvernements et partis de droite extrême. Même la vertueuse Norvège continue de maintenir son industrie pétrogazière sous perfusion. De même, le plus célèbre climatologue français, Jean Jouzel, s’est dit “sidéré” par l’accueil glacial qu’il a reçu au cours d’une table ronde aux universités d’été du MEDEF.
Patrick Pouyané (PDG Total) : «J’entends l’appel de Jean (Jouzel). Je connais et je respecte l’avis des scientifiques. Le problème c’est qu’il y a la vie réelle, la vie qui fait que l’an dernier, face à la crise, l’État français n’a pas eu d’autre choix que de subventionner les énergies fossiles." (…) «La demande de pétrole au niveau mondial est en croissance et si ce n’est pas TotalEnergies qui répond à cette demande, d’autres le feront à notre place»
Jean Jouzel : «La vie réelle, c’est aussi l’équivalent du quart de la surface de la France qui a brûlé au Canada, les canicules et leurs morts, un pays comme l’Iran où l’on a arrêté de travailler pendant deux jours parce qu’il faisait 55 °C… L’écologie du bon sens nous mène droit à la catastrophe».
Pouayné à été ovationné par l’auditoire. Autrement dit, le patronat français est sur la même ligne “drill, baby drill !” que le parti républicain américain. Du reste, la tendance est mondiale. Le FMI a estimé qu’en 2022, les subventions aux énergies fossiles avaient atteint le record de 7000 milliards de dollars, soit trois fois le PIB français et 7 % du PIB mondial.
Cet “été infernal” ne devrait pas changer la donne. Le journal Le Monde déplorait l’absence du réchauffement climatique parmi les thèmes mis en avant par le gouvernement Macron pour sa rentrée politique.
Il faut dire que depuis le “make our planet green again” , Emmanuel Macron s’est “trumpisé”. Il y a eu la petite phrase sur le “modèle amish” pour se moquer des défenseurs de la sobriété énergétique, les alertes du Haut conseil pour le Climat dénonçant l’inaction du gouvernement, le fameux aveu climatosceptique dans un discours (“qui aurait pu prévoir les conséquences du réchauffement climatique ?”) et la reprise des arguments d’Éric Zemmour dans une interview récente, où le chef de l’État insiste à deux reprises sur le fait que la France n’émettrait que 1% des émissions mondiales (ce qui est faux, en plus d’être un argument absurde). Le jour, Emmanuel Macron annonce souhaiter que chaque élève de 6ème plante un arbre. La nuit, le projet climaticide d’autoroute A69 qu’il soutient abat des centaines d’arbres centenaires.
Don’t Look up
De retour de son débat avec le PDG de Total, Jean Jouzel confiait sa déception au journal Les Échos “Je pensais naïvement que si les conséquences du réchauffement climatique devenaient concrètes, les gens accorderaient de la crédibilité à ce que nous disons”.
La référence au film Don’t Look Up est presque trop facile. Dans cette comédie, une météorite “tueuse de planètes” fonce sur la Terre. Après avoir refusé d’écouter les scientifiques et nier le problème, les gouvernants et leurs électeurs finissent par voir la comète de leurs propres yeux. Au lieu de prendre enfin conscience du danger et agir en conséquence, ils répondent avec un slogan “Don’t look up”. Ne regardez pas le ciel. Continuez d’ignorer le problème.
L’explosion du négationnisme climatique que l’on constate au sein de la société française fait écho à la hausse spectaculaire des achats de SUV, l’acharnement du gouvernement contre les militants écologistes qualifiés de terroristes et le succès surprenant du 4x4 Grenadier. Ce véhicule de 2 tonnes 5 produit par Ineos, compagnie pétrochimique détenue par le multimilliardaire britannique Jim Ratcliffe, consomme du 14 litres au 100.
Les conséquences économiques du réchauffement climatique n’ont pas l’air d’émouvoir davantage la classe dirigeante. Que ce soit les centaines de bateaux bloqués au canal de Panama (victime de la sécheresse), les camions empêchés de traverser la vallée de la Maurienne, le coût faramineux des destructions causées par les événements extrêmes, la raréfaction de l’eau, la baisse des rendements agricoles ou la mort annoncée du tourisme dans les stations balnéaires. Pour reprendre les mots du patron de Total, il faut vivre dans la vie réelle. Et dans la vie réelle, il n’y a pas de crise climatique.
Le véritable danger, selon une tribune du Wall Street Journal, viendrait du fait qu’il sera bientôt trop tard pour faire échec à l’agenda écologiste appelant à une transition énergétique. Citons directement l’auteur :
“Pour contrer la stratégie climatique de la gauche alarmiste visant à réorganiser le système financier, les opposants aux investissements durables (ESG) vont devoir déployer un plan plus agressif”
Alors, time to panic ?