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Faut-il avoir peur de Marine Le Pen ?
La séquence des retraites et le meurtre de Nahel seraient censés lui profiter, au point de rendre son arrivée au pouvoir inéluctable. Mais l'extrême droite n'a t-elle pas déjà gagnée ?
Marine Le Pen ne semble plus effrayer grand monde. Pour certains, son élection présenterait des vertus accélérationnistes, au sens qu’elle accélérerait la chute du régime actuel (la Ve république, le néolibéralisme…).
Pour d’autres, Marine Le Pen serait moins dangereuse que Macron. Au moins, avec le RN à l’Élysée, Léa Salamé et la direction éditoriale du Monde prendraient leur rôle de contre-pouvoir à cœur. Anne Sophie Lapix et Gilles Bouleau arrêteraient de produire des JT en forme de SAV de la politique gouvernementale et les intellectuels/artistes influents n’oscilleraient plus entre l’admiration et l’indifférence face aux réformes. Privée de majorité à l’Assemblée, madame Le Pen serait forcée de cohabiter avec un gouvernement issu d’une coalition de partis qui arrêteraient enfin de penser uniquement à leur petite boutique. Et même s’il n’était pas empêché de gouverner, le RN agirait avec un minimum de soucis pour les classes populaires qui lui auraient donné les clés de l’Élysée, là où la Macronie se satisfait de plaire à un socle électoral de 20 % des inscrits constitués quasi exclusivement de retraités aisés et de cadres supérieurs de plus de 45 ans.
Ces opinions restent minoritaires dans le camp susceptible de les tenir, à savoir la gauche au sens large (ou, si vous préférez, ceux qui ne votent ni à droite ni à l’extrême droite, sans faire partie des abstentionnistes convaincus). Les moins politisés ajouteront qu’on a essayé la gauche et la droite, pourquoi pas le RN ?
Au sein de la droite et des classes dominantes, Marine Le Pen ne fait plus peur pour de tout autres raisons. “Elle est totalement dé-diabolisée” annonçait Nathalie Saint-Criq, directrice du service politique de France Télévision, dès 2019. Maintenant qu’elle a renoncé à la remise en cause de l’Union européenne, Le Pen rassure les milieux économiques. C’est vrai qu’elle est mignonne, avec ses élevages de chats et ses appels aux référendums. Depuis la réforme des retraites, elle prend un malin plaisir à distiller des leçons de démocratie au gouvernement et de bienséance à LFI. Ses quatre-vingt-huit députés ont “notabilisé” le RN, de l’aveu de la majorité présidentielle. Les liens avec des milices se revendiquant néofascistes, la proximité avec un militant du GUD inculpé pour meurtre et les connexions avec des factions présentant un risque terroriste semblent vite oubliés, tout comme le racisme décomplexé de certains élus et les liens financiers entretenus avec le régime de Poutine. Les deux trésoriers des dernières campagnes présidentielles de Marine Le Pen peuvent ainsi défiler dans les rues de Paris avec des néonazis et menacer les rares journalistes sur place sans que cela inquiète grand monde. Le préfet de Paris, qui a fait interdire des dizaines de manifestations contre la réforme des retraites, a défendu l’autorisation de la manifestation néonazie au titre qu’elle ne représenterait pas de risque de trouble à l’ordre public, tout en justifiant l’emploi de drones à cause des potentiels débordements…
Les ministres d’Emmanuel Macron ont plutôt tendance à louer le comportement responsable du RN à l’Assemblée nationale, qui vote de multiples textes avec eux (loi anti-squat, maintien de l’ISF, refus du SMIC à 1500 euros…) et les aide à écraser l’opposition de gauche. En effet, le véritable problème viendrait de la NUPES et de l’extrême gauche mélenchoniste. En 2022, la ministre Sarah El Haïry disait “moi ce qui m’effraie plus que Zemmour, c’est les discours intersectionnels du moment”, le “wokisme”. Depuis, Elizabeth Borne a carrément exclu LFI de « l’arc républicain » en réunion avec les députés macronistes, provoquant « un tonnerre d’applaudissements ». Aurore Bergé, la présidente du groupe à l’Assemblée, se vante de l’avoir rebaptisé « La France Incendiaire », expression martelée pendant des jours par Jordan Bardella, président du RN. Pendant la séquence sur les retraites, déjà, la Première ministre avait confié au JDD qu’elle trouvait LFI plus dangereuse que le RN. Lorsqu’elle a, plusieurs semaines plus tard, pointé le lien entre le RN et Pétain, elle s’est fait publiquement “recadrer” par Emmanuel Macron. Pour le MEDEF enfin, prendre le risque de l’arrivée au pouvoir du RN serait nécessaire. Le parti créé par un ancien Waffen SS et un tortionnaire serait-il prêt à gouverner le pays des droits de l’Homme ?
Marine Le Pen peut-elle gagner ?
Les études et enquêtes d’opinion suggèrent que l’extrême droite serait la principale gagnante de la séquence “retraites”. Si le second tour de la présidentielle opposait Macron et Le Pen aujourd’hui, la présidente du Rassemblement national obtiendrait 55 % des voix. Il ne s’agit que de sondages testant des hypothèses lointaines, mais la petite musique qui s’en dégage vient confirmer les conclusions d’études sociologiques plus sérieuses. Même le New York Times s’en inquiète, estimant que “l’extrême droite parvient à se présenter comme le garant d’une démocratie mise en péril par les diktats de Macron” et que “le décalage de l’âge de départ à la retraite a touché à quelque chose de profond et entériné le divorce entre les Français et leurs représentants”.
À droite, les jeunes LR et certains élus parlent déjà d’union des droites et de “barrage républicain” avec le RN contre la gauche. La révolte de la jeunesse dans les quartiers populaires suite à l’exécution extrajudiciaire de Nahel par la Police ne risque pas d’améliorer les choses.
Le risque est évident : si Marine Le Pen est la seule alternative crédible au macronisme et que le vote barrage se retourne contre la gauche, elle risque de l’emporter en 2027. La courbe de voix du RN (2002 contre Chirac, 2017 et 2022 contre Macron) montre que Marine Le Pen dépasserait les 50% en 2027 si les tendances se prolongeaient.
Ce qui amène à se poser une question élémentaire, mon cher Watson. Que se passerait-il si Marine Le Pen arrivait à l’Élysée ? Faisons une expérience de pensée.
Ce qu’il se passerait avec Marine Le Pen à l’Élysée
Si Marine Le Pen remportait la prochaine présidentielle, ce serait probablement dans un contexte d’abstention notable et grâce à un vote de rejet de son adversaire au second tour. Comme Emmanuel Macron en 2022, elle devra vraisemblablement se contenter d’une majorité relative au Parlement, sans pacte gouvernemental avec LR ou les héritiers du macronisme. Ce qui lui imposera de chercher des majorités texte par texte et de passer les lois de finances et autres projets indispensables par 49.3, en faisant usage de cet article aussi souvent que lui permet la constitution (onze fois par session parlementaire, si on s’en tient au record établi par Elizabeth Borne). Marine Le Pen se gardera de recourir à l’article 16 de la Constitution, qui lui permet de s’octroyer les pleins pouvoirs, préférant gérer les dossiers importants par ordonnance, décrets et dans des Conseils de défense opaques. Les propositions de loi de l’opposition seront ainsi censurées à l’aide de l’article 40, tandis que le droit à l’amendement des textes sera supprimé au titre de l’article 42. Les médias ne s’en émouvront pas, la pratique ayant été banalisée par Emmanuel Macron et validée par le Conseil constitutionnel.
Le quinquennat s’ouvrira par un premier grand chantier législatif visant à rassurer les marchés financiers et cimenter le soutien des intérêts économiques, par exemple une réforme visant le cœur de notre modèle social, vendue comme indispensable pour éviter sa faillite. Rien de nouveau ici, Trump avait débuté son mandat de la même manière en tentant de supprimer l’assurance maladie Obamacare avant de voter des baisses d’impôts massifs pour les plus riches. De même, l’Italienne Meloni s’est empressée de supprimer le revenu de base. Même Emmanuel Macron avait débuté son premier mandat par la casse du Code du travail par ordonnance et son second par la réforme des retraites imposée par 49.3.
La première réforme antisociale de Marine Le Pen sera promulguée en muselant le parlement via l’article 47.1, dont l’usage étendu a été validé par le Conseil constitutionnel en 2023, contre l’avis des constitutionnalistes. En cas de difficulté, un 49.3 permettra d’empêcher un vote à l’Assemblée nationale. La mobilisation de l’opinion publique et de l’intersyndicale sera ignorée à coup de phrases méprisantes et d’attaques personnelles visant les représentants syndicaux. Les grèves seront cassées à l’aide de réquisitions illégales, interdites par les tribunaux (mais a posteriori seulement). Les pétitions proposées par l’opposition à l’Assemblée nationale et obtenant rapidement des centaines de milliers de signatures seront simplement classées, afin d’éviter qu’elles prennent de l’ampleur et ne contraignent le parlement à s’en saisir. Les demandes de référendum seront ignorées, par peur de les perdre. Le Conseil constitutionnel se bornera à censurer des articles conçus pour adoucir le texte, tout en refusant la tenue d’un Référendum d’Initiative Partagée susceptible de sortir de la crise sociale par le haut, à la demande explicite du gouvernement.
Privé de légitimité, le pouvoir aura recours à la répression policière la plus sauvage et illégale pour mater la contestation. Le gazage et le matraquage à l’aveugle, les coups de pied contre des manifestants à terre et les charges violentes contre les cortèges syndicaux pacifiques devant les caméras de BFMTV seront la norme.
Dans une série d’articles impitoyables, la presse internationale dénoncera cette dérive autoritaire. Le Wall Street Journal et le Financial Time évoqueront la nécessité d’une mise à plat des institutions de la Ve république. Dans un article bien plus factuel et alarmiste que ce que produisent les grands médias français, le Financial Time citera d’innombrables accidents : les manifestants éborgnés, mutilés et placés dans le coma par les forces de l’ordre. Les fractures du crâne et mains cassées de journalistes attaqués par la police pendant qu’ils interviewaient des manifestants. Les tabassages et insultes des forces de l’ordre contre les manifestants et les journalistes. Une moto de la Police roulant sciemment sur un manifestant pourtant placé en état d’arrestation. L’usage d’armes de guerre (LBD et grenades) de manière illégale (tirs tendus, en mouvement, depuis des quads, sans respecter les distances de sécurité, visant des parties du corps interdites - comme la tête). Les pratiques illégales du maintien de l’ordre (nasses, tirs de lacrymogènes dans des foules compactes et sans voie de sortie) par des policiers ne portant pas leur RIO obligatoire, mais arborant fréquemment des écussons interdits reprenant des symboles néofascistes.
Le FT dénoncera également les dizaines d’interdictions de manifester illégales prises dans des délais trop courts pour que les tribunaux puissent les retoquer à temps et les centaines d’arrestations arbitraires « pour faire du chiffre », dont celles de « deux collégiennes autrichiennes en voyage scolaire ayant passé près de 48 h en garde à vue » ainsi que « des touristes et des commerçants sans lien avec les manifestations ». Nombre d’entre elles s’accompagneront d’humiliations (jeunes filles photographiées nues pendant leur garde à vue) ou de violences physiques (militantes tabassées sans raison pendant l’interpellation, femmes agressées sexuellement ou violées au cours de contrôles d’identité). Des grands-mères sortant du supermarché et des touristes buvant des perriers en terrasses dormiront au poste. La quasi-totalité des arrestations ne débouchera sur aucune poursuite. Mais les magistrats acquis à la dérive fasciste feront parfois du zèle, condamnant ici un jeune homme à trois ans ferme pour avoir donné un coup de skateboard à un policier. Une sous-préfète ordonnera une perquisition suivie de garde à vue et inculpation d’une mère de famille accusée d’avoir traité la Présidente d’ordure sur Facebook. Un retraité de 77 ans sera condamné pour avoir affiché sur sa propre propriété une banderole critiquant le président de la République. Trois manifestants seront également inculpés pour avoir insulté le chef de l’État lors d’un bain de foule. Sans oublier les arrêtés préfectoraux délirants pour faire interdire les “dispositifs sonores portatifs” dans la rue et les cartons rouges et sifflets dans les stades. Si certaines décisions sont invalidées par les tribunaux, comme la saisie des cartons rouges, elles seront appliquées malgré tout par des forces de l’ordre et les sociétés privées ne respectant pas l’État de droit.
À l’inverse, les défilés de néonazis cagoulés et équipés d’armes blanches (gants coqués entre autres) seront autorisés dans les rues de Paris. Le même jour, une manifestation syndicale contre la réforme sera interdite à Lyon, où des milices se réclamant du fascisme attaqueront à l’arme blanche des manifestants venus entamer une casserolades. Des tracts néonazis et antisémites appelant les “camardes de race blanche” à se mobiliser seront massivement distribués dans les boites aux lettres par une ultradroite emplie d’un sentiment d’impunité après que la Chef de l’État ait proposé de réhabiliter Pétain.
Le ministère de l’Intérieur annoncera la dissolution d’une organisation écologiste (Les soulèvements de la Terre) après avoir dissous des organisations antiracistes, menacé la Ligue d’observation des droits de l’Homme et laissé proliférer des groupuscules d’extrême droite ayant organisé des ratonades dans diverses villes de France. Cet autoritarisme sera dénoncé dans un long article du pourtant très conservateur Wall Street Journal, également inquiet par les dérives du maintien de l’ordre.
Les forces de l’ordre constitueront des dossiers informatiques massifs pour ficher les opposants politiques, en toute illégalité. Des lois antiterroristes seront régulièrement invoquées pour réprimer le droit de manifester, comme le déplorera le New York Times. L’imminence de l’organisation d’un tournoi sportif international permettra d’instaurer la surveillance de masse (à l’aide d’intelligence artificielle et de reconnaissance faciale), de généraliser l’usage de drones et l’usage de produits de marquage à l’ADN de synthèse largués par ces mêmes drones et déjà utilisés pour mettre des journalistes en prison. Une loi autorisera l’espionnage des journalistes et citoyens en transformant leurs téléphones portables et objets connectés en mouchards permettant d’enregistrer les conversations à distance et même de filmer les personnes à leur insu.
Le New York Times consacrera un article entier à la BRAV-M, cette brigade de voltigeurs créée par Emmanuel Macron pour mater les opposants politiques défilant dans les rues, décriée suite à un enregistrement où ses membres s’en prennent violemment à des passants interpelés arbitrairement. En plus des gifles et des propos scandaleux (“on va dormir ensemble en cellule, le premier qui bande encule l’autre” et “la prochaine fois tu vas pas finir au commissariat, mais à l’hôpital”, l’enregistrement révèle des propos racistes ciblant préférentiellement l’étudiant noir figurant parmi les interpellés. Un rapport d’une ONG dénoncera la BRAV-M comme “Des unités violentes et dangereuses, promptes à faire dégénérer les situations”. La pétition demandant la dissolution de cette unité abritant des fans d’Hitler et de nombreux membres condamnés pour violences sera bloquée par les députés de la minorité présidentielle.
Un rassemblement écologiste visant à contester un projet industriel de méga-bassine (dont de nombreux chantiers similaires avaient été interdits par les tribunaux sans que le pouvoir politique ne se plie à ces décisions) sera réprimé dans le sang. La préfecture empêchera le SAMU d’intervenir à temps pour traiter les manifestants les plus gravement blessés, comme c’est désormais l’usage. Plusieurs manifestants seront mutilés à vie.
Saisie, l’IGPN niera l’usage illicite de LBD en dépit des vidéos accablantes et classera sans suite l'écrasante majorité des plaintes. Plus d’un français sur deux affirmera avoir peur de manifester dans un sondage rapidement étouffé.
Un éditeur d’une collection classée à gauche sera arrêté par la police britannique lors de son déplacement à Londres, à l’aide de lois anti-terroristes. Il lui sera reproché de publier des auteurs critiques du gouvernement français.
Malgré ce déluge de violences et d’autoritarisme, les médias hexagonaux continueront de traiter le gouvernement avec déférence tout en relayant les informations fournies par les préfectures de police sans recul. Pour eux, aucune dérive autoritaire ne sera à signaler.
Amnesty International, Reporter sans frontières, le Conseil de l’Europe, la ligue des droits de l’homme, l’ONU et la Maison-Blanche s’inquiéteront officiellement des dérives autoritaires, des violences policières et du racisme des forces de l’ordre. Le défenseur des droits sera saisi plus d’une centaine de fois en deux mois.
Pour faire oublier la réforme des retraites, le gouvernement s’attaquera aux titulaires du RSA et à l’immigration. On assistera en parallèle à une montée inédite des violences au sein de la société.
Un centre d’accueil des migrants sera fermé à Callac suite aux menaces d’extrême droite. Une association d’aide aux LGBT sera victime d’un attentat terroriste à la bouteille explosive (“Un cap a été franchi avec le jet d’un engin explosif comprenant de l’acide et de l’aluminium jeté en plein après-midi dans les bureaux”, dixit Libération). Un maire sera contraint de démissionner après avoir vu sa maison et ses deux voitures incendiées alors qu’il était chez lui avec son épouse. Complètement lâché par le gouvernement, le préfet et la gendarmerie, il avait commis la faute d’accepter l’implantation d’un centre d’accueil pour migrants sur sa commune.
Les militants écologistes seront régulièrement menacés de mort par les militants de la FNSEA. Une journaliste enquêtant sur les pratiques illégales de l’agro-business subira deux tentatives de meurtre sans obtenir de protection policière.
Le mouvement écologique sera durement réprimé. De nombreux militants seront arrêtés et placés 48h en garde à vue, alors que des moyens titanesques normalement réservés à l’anti-terrorisme seront déployés contre des maraichers bio (mises sur écoutes, traceurs GPS, croisement de banques de données de vidéo-surveillance colossales, multiples prélèvements d’objets à la recherche de traces d’ADN…)
La Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) lancera une nouvelle alerte sur les prisons qui « débordent » et « se substituent aux asiles d’antan », dans des conditions “humiliantes pour la République”.
La Présidente, qui avait rendu un hommage à Pétain et passé 45 min au téléphone avec Éric Zemmour pour le conforter après qu’il ait été insulté dans la rue, ne s’émouvra pas de l’enlèvement d’un syndicaliste par des policiers factieux en civils, devant ses enfants. Elle déplorera par contre le fait que les migrants “s’intègrent trop vite à la société française pour être expulsés”.
Une opération d’expulsion géante et ultra violente de sans-papiers sera planifiée à Mayotte. L’agence Fitch dégradera la note financière de la France au prétexte d’instabilité politique créée par la radicalisation du gouvernement.
La Palme d’Or à Cannes dénoncera “la répression du mouvement social” de la part d’un gouvernement orchestrant “un schéma de pouvoir dominateur de plus en plus décomplexé”. Elle sera qualifiée d’ingrate par la ministre de la Culture et menacée par le pouvoir de ne plus pouvoir financier ses prochains films. La présidente se vantera de ne pas l’avoir félicitée pour ce prix exceptionnel. La seule émission un peu impertinente du PAF (C’est encore nous, sur France Inter) sera déprogrammée malgré des audiences records.
Tous ces événements formeront une toile de fond avant qu’une énième bavure policière mette le feu aux banlieues. Les forces de l’ordre tenteront de camoufler l’affaire en réalisant un faux en écriture publique qui sera amplement relayé par les principaux médias. L’émergence des vidéos viendra contredire la version des forces de l’ordre. Loin de faire une introspection sur les violences policières et le racisme systémique qui minent la police, le gouvernement accusera les jeux vidéos, les réseaux sociaux, l’opposition et les parents. La réponse sera exclusivement répressive. La police réprimera les émeutes dans le sang, tuant et blessant grièvement des passants en marge des émeutes. Les manifestations pacifiques seront interdites et réprimées. Des centaines d’émeutiers et de nombreux innocents seront condamnés à de lourdes peines de prison sur la base de preuves inexistantes ou non-concluantes, pour l’exemple. Galvanisés par le soutien politique, les syndicats de Police émettront des communiqués en forme d’appel à la guerre civile et s’attaqueront aux militants antiracistes en plein jour, en tabassant le moindre journaliste indépendant qui tentera de filmer ces règlements de comptes. Le pouvoir politique acceptera l’idée que le problème vient de l’immigration. Une chanteuse critiquant la présidente verra son concert annulé et un homme de 82 ans menotté et embarqué au commissariat pour avoir interpellé pacifiquement le ministre du Travail. Les députés d’opposition seront sanctionnés par l’Assemblée nationale et menacés de poursuite judiciaire par le garde des Sceaux. Quelques jours avant, un des principaux conseillers de l’Élysée proposera une révision constitutionnelle à la Poutine pour permettre à la Présidente de briguer un troisième mandat.
Le déjà-là fasciste
Si tous les faits énumérés plus haut vous paraissent familiers, c’est parce qu’ils se sont déjà produits sous Emmanuel Macron. Pour le vérifier, il vous suffit de cliquer sur les liens en hypertexte. Il ne s’agit que d’une petite liste, nous avions procédé à un exercice similaire en 2018 pour démontrer à quel point la politique migratoire et sécuritaire d’Emmanuel Macron reprenait les propositions du RN.
Depuis, les observateurs étrangers ne s’y trompent pas : la France n’est plus une démocratie. Le parlement est systématiquement contourné par le gouvernement, toute opposition dérangeante dans la rue est réprimée par des violences policières, interdictions de manifester et arrestations arbitraires débouchant sur des gardes à vue dans des conditions de détention inhumaines. Sur les plateaux de télévision, les opposants dérangeants sont écartés pour éviter toute contestation sérieuse de la dérive autoritaire (démontrant, au passage, qu’on ne peut pas débattre de l’état de la démocratie en France). L’État de droit n’est plus respecté par les ministres (Darmanin affirmant des choses fausses, comme le fait qu’il soit illégal de participer à une manifestation non autorisée), ni par la Police (qui ne respecte pas le schéma du maintien de l’ordre, refuse de porter son RIO, réalise des faux en écriture et commet d’innombrables violences), ni par les préfets (qui interdisent illégalement des manifestations, organisent des réquisitions de grévistes illicites et recommandent de coller des baffes aux adolescents tumultueux, ce qui constitue un délit).
Ceux qui s’imaginent que ça serait pire avec Marine Le Pen ont très probablement raison. Faire pire est toujours possible.
Inversement, ceux qui s’imaginent que l’élection de Marine Le Pen aurait l’effet d’un électrochoc doivent se réveiller. Marine Le Pen a déjà gagné. Nous sommes déjà en régime autoritaire, antiparlementaire, illibéral, ultra-répressif et violent. Les médias sont rachetés un à un par des milliardaires néonazis avec l’approbation tacite du pouvoir. Un soutien de Zemmour est placé à la tête du JDD sans que l’Élysée ne s’en inquiète. Lorsque le ministre de l'Éducation pointe le fait que le propriétaire de CNEWS, Europe 1 et de nombreux titres de presse et maisons d’édition est d’extrême droite, il est lâché par l’ensemble des élus et ministres de son parti.
Malgré tous ces signaux alarmants, pour le Monde, quotidien de référence, le danger vient de la gauche molle de Jean-Luc Mélenchon, grotesquement rhabillé en « extrême gauche » par le comité de rédaction. Autrement dit, les médias dominants accompagnent cette dérive, lorsqu’ils ne la précèdent pas.
La question n’est donc plus “sommes-nous encore en démocratie”, mais “que faire quand l’extrême droite est au pouvoir”. Et la réponse va de soi : la combattre.
Vers une alliance objective entre le RN et RENAISSANCE
La victoire de l’extrême droite ne constitue pas seulement une conséquence logique des politiques anti-sociales menées par Emmanuel Macron et ses récents prédécesseurs. Elle découle également de la dérive autoritaire nécessaire, du point de vue de la bourgeoisie, pour imposer par la force les réformes néolibérales dont personne ne veut. Mais elle est également facilitée par un penchant de plus en plus évident d’Emmanuel Macron pour le prisme idéologique de l’extrême droite.
Dès 2016, il obtenait le soutien tacite de l’anti-républicain Phillipe de Villiers en affirmant penser que la France souffrait de ne plus avoir de roi. Depuis, il prend conseil auprès de Zemmour, s’inspire des thèses racistes du néonazi Renaud Camus, regrette que les immigrés s’intègrent trop vite en France pour être expulsables, refuse de tempérer les ardeurs séditieuses de la police et approuve tacitement l’idée que le problème qui frappe les banlieues provient de l’immigration, en dépit des évidences contraires documentées par des titres aussi « mainstream » que le Financial Times et le Wall Street Journal.
Mais Macron est suffisamment habile pour manipuler les médias de masse en soufflant le chaud et le froid. Un jour, il s’aligne sur l’extrême droite et fait voter des lois dignes du régime chinois. Le lendemain, il fait entrer une figure féministe de la résistance et une artiste afro-américaine au Panthéon. Il fait élire des cadres du RN à la vice-présidence de l’Assemblée, mais nomme Pap N’Diaye à l’éducation.
Au-delà de la dérive autoritaire et illibérale du pouvoir, on assiste à un rapprochement de fait entre la macronie, la droite dite “républicaine” et l’extrême droite. Cette fusion apparente des droites et extrême droite s’explique par une lecture électoraliste et par la lutte des classes. À l’issue de la présidentielle de 2022 et des législatives, trois blocs politiques ont émergé. Un bloc néolibéral et autoritaire (Macron et les partis le soutenant à l’Assemblée, du Modem à Horizon en incluant LR), un bloc d’extrême droite (Le Pen et Zemmour) et un bloc de gauche “populaire” (l’Union Populaire de la NUPES, conduite par LFI). Le but des deux autres blocs est d’éliminer le bloc de gauche, comme le détaillait déjà en 2022 le politologue Stefano Palombarini. Pour y parvenir, la droite néolibérale et l’extrême droite tentent de diaboliser la gauche et de la fragmenter en partis “irréconciliables”. Du point de vue de la lutte des classes, cela permet de garantir ensuite un partage du pouvoir entre deux blocs qui, en matière économique, s’accordent plus ou moins sur l’essentiel. Le RN a voté contre le rétablissement de l’ISF, contre la hausse du SMIC et l’indexation des salaires.
Électoralement, installer un duel entre la droite et l’extrême droite est également opportun de leur point de vue. Le RN peut incarner la seule alternative à un pouvoir impopulaire, qui peut espérer se maintenir en incarnant un rempart à l’extrême droite. Mais ce faisant, il finit par ne plus se différencier de celle-ci qu’à la marge.
Du reste, ce mouvement n’est pas unique à la France. Un peu partout en Europe, la droite s’allie avec l’extrême droite pour gouverner. C’est le cas en Italie, en Grande-Bretagne, en Suède, en Finlande, en Grèce… dans d’autre pays, l’extrême droite semble avoir définitivement gagné (Polande, Hongrie…). Mais il n’y a pas de fatalité. Certains pays échappent encore à cette dérive dramatique. La clé réside dans le maintien d’une gauche radicale et populaire dans le champ électoral, et une population active et mobilisée dans le champ citoyen.
S’il faut continuer d’avoir peur de Marine Le Pen, l’urgence n’est donc pas de s’inquiéter de ses chances de victoire en 2027. Mais de ce qui se passe ici et maintenant, sous Emmanuel Macron. Et de faire bloc à chaque fois que la classe dirigeante cherche à exclure une partie de la gauche de “l’arc républicain”.
Faut-il avoir peur de Marine Le Pen ?
JEAN CHAMBON
Terrible. Comme quoi ce qui est déjà arrivé rend inutile l'imagination du pire. Ma femme considère que le film "Soylent Green" est une assez bonne préfiguration de ce qui nous attend. Et j'en suis arrivé au point d'être plus désespéré par l'immensité qui vote Macron que par Macron lui-même...
Il ne manque que ceci à votre liste, dénoncé par Charles de Courson en janvier 2019 : « C'est la dérive complète ! On se croit revenu sous le régime de Vichy ! » Charles de Courson ne prend pas de pincettes avec ses collègues de l'Assemblée nationale. Mercredi, les élus de Palais-Bourbon examinaient une disposition de la proposition de loi anti-casseurs, née en raison de la poursuite du mouvement des Gilets jaunes et des nombreuses violences observées lors des journées de mobilisation. Le texte autorise les préfets à prendre une interdiction de manifester, et a été approuvé mercredi par la chambre basse du Parlement. Mais, selon le député de la Marne, il s'agit là d'une « pure folie », dérive liberticide qui renvoie la France aux fantômes de la Seconde Guerre mondiale.