Grèves, Matrice, enthousiasme et frustrations
Des raisons de se réjouir et des nouvelles plus "personnelles"
Cela fait un petit moment que je n’ai pas publié sur cette newsletter, pour des raisons que je vais détailler dans quelques lignes. Mais avant, je voulais partager avec vous cet extrait du discours du président du syndicat UAW (United Automobile Workers of America) Shawn Fain, quelques jours après le déclenchement d’une grève historique contre le « Big 3 » des constructeurs américains (Ford, General Motors et Chrysler/Stellantis).
En regardant cette marée de chemises rouges rassemblées aujourd’hui, je vois du pouvoir. Le pouvoir d’une classe unie. 13 000 membres de notre syndicat sont en grève. Et en fonction de ce qui va se passer dans les négociations, davantage les rejoindront très prochainement.
Dans leur économie, les travailleurs attendent anxieusement leur chèque de fin de mois pendant que les milliardaires s’achètent un autre yacht. Dans leur économie, nous faisons tous les sacrifices et ils prennent tous les profits. Dans leur économie, un salarié doit travailler 400 ans pour obtenir ce qu’un PDG gagne en un an. Alors nous allons dévaster leur économie, parce qu’elle ne fonctionne que pour les milliardaires.
Vous savez qui a peur ? Les médias de masse ont peur. La classe des milliardaires a peur. Le Big 3 a peur. Ils veulent vous faire croire que vous ne méritez pas votre juste part. Ils veulent que vous ayez peur, parce qu’ils ont peur. Ils tremblent parce qu’ils voient leur système, où seuls les milliardaires s’enrichissent, vaciller.
Nous n’avons rien à craindre. Je regarde autour de nous, je vois du Pouvoir. Je vois de la foi. Et je vois une classe laborieuse qui en a marre, et qui est gonflée à bloc.
Je vois des travailleurs de toute origine et lieu social qui se tiennent debout ensemble, solidaires. Vous savez tous ce que nous devons faire. Et maintenant, le monde entier sait ce que nous devons faire.
Quand ils nous demandent de nous calmer, on se soulève ! (When they tell us to sit down, we stand up !)
Je suis tombé sur ce discours (ici en VO et avec le son) en préparant une série d’articles pour Frustration Magazine. Un premier en deux parties (relativement courtes) est en ligne. Les deux autres seront publiés dans leur magazine papier en janvier. Le sujet m’a d’autant plus enthousiasmé que le reste de l’actualité est pour le moins plombant… Or, il se passe vraiment quelque chose d’intéressant aux États-Unis, une forme de retour en force du mouvement ouvrier, conquérant et offensif. Un contraste saisissant avec l’enchaînement de défaites en France.
Je vous invite à les découvrir ici :
Partie 1 : Aux États-Unis, une grève historique dans l’automobile
Partie 2 : Aux États-Unis, la grève de l’automobile rebat les cartes
À ce travail c’est ajouté un gros projet de recensement et critique de la BD de Jean Marc Jancovici, « Le monde sans fin », qui m’a demandé beaucoup d’investissement. Le résultat devrait être publié prochainement dans les colonnes du site Le Vent Se Lève en une série de deux articles. Ce travail, plus des circonstances personnelles, explique mon relatif silence radio. Je m’en excuse, tout particulièrement auprès des abonné(e)s qui contribuent généreusement à l’existence de cette newsletter.
« La matrice est un système, Néo, et ce système est notre ennemi »
Sur un plan plus prosaïque, j’ai récemment revu le chef-d’œuvre de Science-Fiction « Matrix », après avoir écouté un podcast intitulé « Movies against capitalism » qui en proposait une lecture anticapitaliste. Je connaissais la lecture philosophique, le film semblant être indirectement inspiré du vedanta et du bouddhisme, mais je n’avais jamais entendu parler d’une lecture plus politique. Ce qui est d’autant plus surprenant qu’on pourrait difficilement faire plus « évident ».
Jugez plutôt.
Le film bascule lorsqu’un certain Morpheus propose à Néo (Kenu Reeves) de choisir entre deux pilules : une bleue qui le ramènera dans son lit et à ses croyances, et une rouge qui lui dévoilera les secrets de la Matrice. La scène où il se voit offrir ce choix se déroule ainsi :
Morpheus : Tu sais que le monde ne tourne pas rond sans comprendre pourquoi, mais tu le sais. Ce sentiment agit comme une écharde dans ton esprit, de quoi te rendre fou. C’est ce sentiment qui t’a amené jusqu’à moi. Sais-tu exactement de quoi je parle ?
Neo : La Matrice ?
Morpheus : Veux-tu savoir ce qu’elle est ? La Matrice est universelle. Elle est omniprésente. Elle est avec nous ici, en ce moment même. Tu la vois chaque fois que tu regardes par la fenêtre ou lorsque tu allumes la télévision. Tu ressens sa présence quand tu pars au travail, quand tu vas à l’église ou quand tu paies tes factures. Elle est le monde qu’on place devant tes yeux pour t’empêcher de voir la vérité.
Néo : Quelle vérité ?
Morpheus : Que tu es un esclave, Néo. Comme tout le monde, tu es né dans la servitude, dans une prison que tu ne peux ni toucher ni sentir.
Une fois libéré de la Matrice, Néo apprend davantage à son sujet :
Morpheus : Qu’est-ce que la Matrice ? Le contrôle absolu. La Matrice est la simulation d’un monde imaginaire créé dans le seul but de nous maintenir sous contrôle, jusqu’à ce que nous soyons tous transformés en ceci ! (Morpheus montre une pile électrique)
La Matrice est un système, Néo, et ce système est notre ennemi. Quand on est à l’intérieur, qu’est-ce qu’on voit partout ? Des hommes d’affaires, des enseignants, des avocats, des charpentiers. C’est avec leurs esprits qu’on communique pour essayer de les sauver, mais en attendant, tous ces gens font partie de ce système, ce qui fait d’eux nos ennemis. Ce qu’il faut que tu comprennes, c’est que la plupart ne sont pas prêts à être débranchés. Bon nombre d’entre eux sont tellement inconscients et désespérément dépendants du système qu’ils vont jusqu’à se battre pour le protéger. Est-ce que tu m’écoutes Néo, ou est-ce que tu regardes cette femme en robe rouge ?
Maintenant, relisez ces passages en remplaçant le mot « matrice » par « capitalisme ».
Ah !
Vous venez de prendre une pilule rouge (notez la couleur).
Dans la même veine, l’analogie de la pile électrique est on ne peut plus criante : la finalité du système est de s’accaparer notre énergie. On peut relever d’autres points intéressants, comme le travail avilissant de Néo dans la matrice, employé en open space déshumanisant d’une boite informatique. Son chef lui passe un savon lorsqu’il arrive en retard : « vous avez un problème avec l’autorité… » Ou encore la première phrase prononcée par un policier lors de la première scène du film : « je ne fais que mon travail ».
Au-delà du chef-d’œuvre cinématographique dont l’esthétisme a eu un impact considérable sur le 7e art et fait de Kenu Reeves (particulièrement populaire, sur les tournages et en dehors) un des artistes les plus « bankable » d’Hollywood, le premier volet de la trilogie Matrix est un formidable film « né d’une rage profonde contre le capitalisme, la structure de l’entreprise et les systèmes d’oppression », comme l’ont indiqué les auteurs eux-mêmes (deux frères ayant transitionné en femmes — sortant également ainsi de leur « matrice » personnelle…).
Le revoir m’a inspiré un article plus large et « grand public » autour du film, je ne sais pas si j’aurais le temps de l’écrire vu le nombre de projets en cours, mais au minimum je vous en aurai donné un avant-gout !
Vous pouvez choisir la pilule bleue et « continuez à croire à ce que vous voulez croire » ou prendre la pilule rouge pour « rester au pays des merveilles, suivre le lapin blanc au fond du tunnel » et rejoindre la révolution.
PS : Une part de moi a très envie, pour les effets curatifs entre autres, d’écrire un article sur la situation au Proche-Orient et ses répercussions en France. Mais c’est un sujet périlleux qui sature déjà le débat public. Je serais curieux d’avoir votre avis et de savoir si cela vous intéresserait de lire une analyse proposant une certaine prise de recul sur les événements, qui les aborderait surtout sous l’angle des réactions politiques et médiatiques.