Qui va gagner la présidentielle américaine
Trois scénarios et ma prédiction personnelle pour l'élection américaine du 5 novembre
Tentative d’assassinat contre Donald Trump, abandon de Joe Biden, invasion du Liban avec l’appui des États-Unis, débat difficile pour Trump face à Harris, ouragans dévastateurs, entrée en campagne d’Elon Musk… malgré ses multiples rebondissements, la présidentielle américaine ne semble pas passionner les Français. Il est pourtant question de reconduire un ancien président putschiste et grossièrement incompétent à la tête de la première puissance mondiale ou d’assister à l’élection de la première femme de couleur à Washington. L’issue sera nécessairement historique.
Le paradoxe réside dans le fait que la politique américaine impacte très fortement la vie de tous les habitants de la planète - américains ou non - mais que cet impact est peu influencé par le résultat des élections présidentielles. Celle de 2024 fera-t-elle exception ?
Les enjeux d’une présidentielle à haut risque
La victoire de Donald Trump enverrait un signal fort à toutes les forces réactionnaires et au mouvement d’extrême droitisation qui frappe la majeure partie des démocraties occidentales. Elle validerait la stratégie de ralliement derrière Trump suivie par une partie des grands financiers de Wall Street et des pontes de la Silicon Valley.
Concrètement, une présidence Trump modifierait la politique étrangère américaine : établissement de droits de douane significatifs, main tendue à la Russie en Ukraine, redoublement de l’appui à Israël dans ses guerres au Moyen-Orient, accélération délibérée du réchauffement climatique et libération d’un capitalisme prédateur débridé ayant pour principales caractéristiques de s’appuyer sur la peur de l’immigré pour faire oublier le clientélisme envers les multinationales, le développement accéléré des technologies de surveillance numérique et la paupérisation des travailleurs issus des classes moyennes et populaires.
Pourtant, la victoire de Kamala Harris ne changerait que marginalement ce tableau. La candidate démocrate est également tributaire d’intérêts financiers puissants. Elle s’est vanté de l’augmentation record de la production d’hydrocarbures pendant sa vice-présidente et a réaffirmé son soutien à la fracturation hydraulique. Ses liens avec la Silicon Valley et les géants de la Tech sont la principale raison de son ascension politique. Elle défend également la notion de guerre commerciale avec la Chine. Elle a tenté de convaincre les électeurs qu’elle sera plus ferme et efficace que Donald Trump pour lutter contre l’immigration tout en mettant en avant le ralliement des pires politiciens de l’ère W.Bush (Dick Chenney et sa fille, entre autres) derrière elle. Pour une candidate démocrate, elle a manifesté une hostilité inédite vis-à-vis de l’Iran et refuse de remettre en cause le soutien inconditionnel des États-Unis envers Israël.
Si vous espérez que l’élection va mettre fin au plus grand génocide de notre ère et empêcher Israël de raser Beyrouth, vous vous bercez d’illusions. La situation sera probablement pire avec Trump à la Maison-Blanche, mais lorsqu’on est face à un génocide, l’enjeu n’est pas de limiter l’ampleur de ce dernier, mais d’y mettre fin.
En matière de politique intérieure, Kamala Harris a de bien meilleures chances d’améliorer le quotidien des Américains que son adversaire républicain. Elle défend les syndicats ouvriers, propose de mettre en place de nouvelles allocations familiales, veut poursuivre les investissements dans la transition énergétique, protéger l’assurance maladie, baisser le prix des médicaments… Mais ces projets - moins ambitieux que ceux portés par Joe Biden en 2020 ou Hillary Clinton en 2016 - se heurteront au Congrès.
La seule chose dont on peut être un peu près certain, c’est que la victoire de Kamala Harris mettrait fin à la carrière politique de Donald Trump, dont l’état de santé mentale et les capacités cognitives semblent décliner.
D’un autre côté, la victoire de Donald Trump enverrait un message clair aux démocrates : incarner le moindre mal, participer à un génocide et conduire une campagne captive des intérêts financiers n’est pas suffisant pour conserver le pouvoir. Mais comme avec Clinton en 2016, le Parti démocrate rejettera la faute sur la gauche radicale et poursuivra la droitisation entamée par Harris.
Cela étant posé, qui est le mieux placé pour l’emporter selon moi ?
Ce que disent les sondages et les modèles prédictifs
L’élection présidentielle ne se joue pas au suffrage universel direct, mais au “Collège électoral”. Chaque État met en jeu un nombre prédéterminé de “grands électeurs” correspondant au nombre de sièges d’élus dont il dispose au Congrès. Ce nombre est fixé à deux par État pour la chambre haute (le Sénat) et un nombre proportionnel à la population pour la Chambre des représentants. Le candidat arrivé en tête dans un État remporte tous les “grands électeurs” en question, soit 54 pour la Californie, 40 pour le Texas, 4 pour Hawaï et 3 pour le Dakota du Nord. Il faut au moins 270 grands électeurs sur les 538 en jeu pour être élu.
C’est pour cela que les candidats font presque exclusivement campagne dans les “swing states” (États clés ou États pivots), connus pour basculer d’un camp à l’autre au fil des élections. Cette année, les sondages estiment que sept États sont réellement contestés : la Pennsylvanie, le Michigan, le Wisconsin, la Géorgie, la Caroline du Nord, l’Arizona et le Nevada.
Les sondages estimant le score national sont d’une utilité limitée, bien qu’ils fournissent un début d’information. De nombreux sites et médias proposent des moyennes pondérées en fonction de paramètres transparents : taille de l’échantillon, biais connu de l’institut (déterminé en fonction de ses performances passée) et sérieux du sondeur. L’agrégateur le plus performant est celui proposé par le site FiveThirtyEight d’ABC news. Voici ce qu’il donne à l’heure de la publication de ce billet :
Dans l’absolu, Harris est devant. Les experts estiment que le Collège électoral donne un avantage structurel aux républicains, qui peuvent se permettre de perdre de 2 à 3 % le vote national tout en remportant l’élection. Comparée aux élections précédentes, la marge d’Harris est très faible et la tendance peu favorable.
Il faut donc regarder du côté des swing states. Et là, les courbes sont encore plus serrées.
Différents médias et spécialistes proposent des modélisations pour estimer les chances de chaque candidat. Encore une fois, le site FiveThirtyEight semble le plus précis d’entre eux. Voici ce que son modèle propose à dix jours du scrutin :
Autrement dit : un pile ou face.
D’autres informations permettent à certains spécialistes d’affiner leurs prédictions : les données sur le vote anticipé, sur les inscriptions des électeurs sur les listes d’affiliation à un parti et les enquêtes d’opinions sondant la popularité des candidats et les préoccupations des électeurs. Ces données semblent globalement favoriser Donald Trump, mais elles avantageaient Hillary Clinton en 2016…
Pour se faire une idée précise du vainqueur, il faut mobiliser d’autres paramètres. Et je ne parle pas des agrégateurs de bookmakers qui se trompent encore plus souvent que les sondages et ne reflètent qu’un sentiment général. Mais bien de l’analyse fine qui prend en compte le contexte politique et les tendances de fond. Avant de vous livrer ma conclusion, je vous propose de suivre mon raisonnement à travers un exercice “post mortem” visant à expliquer pourquoi et comment chacun des trois scénarios que nous allons considérer pourrait être justifié.
Scénario 1 : très large victoire de Donald Trump
Contrairement aux avertissements et inquiétudes en tout genre, le nom du vainqueur a été connu rapidement, sans avoir besoin d’attendre le dépouillement du vote par correspondance de certains États clés. Trump a été déclaré vainqueur avec plus de 270 grands électeurs dès minuit. Et dans les jours qui suivront, lorsque le dépouillement sera terminé, il deviendra probablement le premier candidat républicain à remporter le vote national depuis Bush junior (en 2004) et Bush senior (en 1988). Les craintes de nouvelle tentative de coup d’État, de contestation du résultat voire de guerre civile n’avaient pas lieu d’être, pour la bonne raison que le milliardaire est élu très nettement.
Comment expliquer un tel scénario ? Est-il crédible ?
Si on compare les résultats des élections de 2016 et 2020 aux sondages à une semaine du vote, une chose frappe immédiatement. Donald Trump a obtenu des scores supérieurs aux prédictions, en particulier dans certains swing states. En 2016 Clinton disposait de 3.9 points d’avance dans les sondages nationaux et obtient finalement 3 millions de voix (et 2.1 %) de votes de plus que Trump.
En 2020, les sondages nationaux donnaient 8 points d’avance à Joe Biden. Il a obtenu 8 millions de voix de plus que Donald Trump (soit seulement + 4.5 % des suffrages).
Lors des élections de mi-mandat de 2018, le Parti démocrate avait sèchement battu le camp de Donald Trump, mais ce dernier avait tout de même fait un peu mieux que ce que lui promettaient les sondages, en particulier dans les États où le milliardaire avait fait activement campagne en soutien d’un candidat au Sénat.
Cette fois, il suffit que les sondages se trompent d’un seul point en faveur de Trump dans les États clés pour qu’il remporte plus de 270 grands électeurs, et de deux à trois points pour qu’il remporte le vote national. Il faut une sacrée dose d’optimisme pour ne pas imaginer que le même biais présent en 2016 et 2020 soit encore observé - même moins fortement - en 2024.
Les démocrates espèrent que leurs excellents scores aux élections de mi-mandat (2022) et aux élections intermédiaires locales, où ils ont systématiquement fait mieux que Biden en 2020 et que les sondages, allaient faire mentir les prédictions en leur faveur. Cet argument omettait de prendre en compte deux éléments.
Premièrement, lors de ces scrutins intermédiaires, le taux de participation est faible. Seuls les électeurs les plus politisés se déplacent. Deuxièmement, Trump ne figurait pas sur les bulletins de vote, bien qu’il avait fait campagne et soutenu de nombreux candidats. En 2016, 63 millions d’Américains avaient voté pour Trump. En 2020, 75 millions, soit un bond de 8 millions. C’est cette capacité à mobiliser les électeurs indécis ou peu politisés qui ne cesse d’être sous-estimée par les sondeurs.
Au-delà des sondages biaisés, d’autres fondamentaux permettent d’expliquer le scénario d’un raz de marée en faveur de Trump. Bien que toujours négative, sa cote de popularité n'a jamais été aussi élevée. La tentative d’assassinat l’a aidé, tout comme sa stratégie de victimisation lorsqu’il était confronté à des ennuis judiciaires. Surtout, Trump profite d’un fait indiscutable : depuis qu’il a quitté la Maison-Blanche, les prix des biens et services ont subi une inflation record. Cette dernière s’explique majoritairement par la crise Covid, dont l’impact économique s’explique en grande partie par sa propre gestion désastreuse de la pandémie. Mais les électeurs ont la mémoire courte, un accès limité à des informations de qualité et une expérience du réel assez simple : sous Trump, les prix étaient 20 à 30 % moins élevés. Le fait que l’inflation a d’abord été causée par les tensions sur les chaines d’approvisionnement et par l’augmentation des marges des entreprises ne s’est pas imposé, en partie du fait que l’administration Biden n’a pas osé pointer immédiatement du doigt les principaux responsables.
Le fait que les droits de douane promis par Donald Trump et son refus d’augmenter le salaire minimum ou de renforcer la protection sociale risquent de nuire au pouvoir d’achat des Américains n’est pas aussi tangible que le prix à la pompe et le montant du caddie moyen. L’inflation a beau être retombée à des niveaux historiquement bas, les prix restent élevés. Et la hausse des taux d’intérêt mise en place par la FED depuis 2021 a aggravé la crise du logement tout en privant de nombreux foyers d’accès au crédit. Autant de signaux touchant directement le niveau de vie des électeurs, qui sont plus ou moins consciemment nostalgiques des années Trump et lui font davantage confiance pour gérer l’économie.
Malgré leurs efforts, les démocrates n’ont pas annulé le remboursement des prêts étudiants (dont les mensualités viennent de flamber suite à l’expiration des dernières mesures d’aide votées au début de mandat Biden) ni ramené le cout de l’assurance maladie et des médicaments à des niveaux acceptables. Kamala Harris a tenté de faire campagne sur des propositions populaires (citons un programme détaillé face à la crise du logement, une ambition claire pour défendre l’assurance maladie Obamacare et continuer les politiques de baisse de prix des médicaments, la mise en place d’une allocation familiale déjà expérimentée en 2021), mais s’est heurtée à un double problème. D’abord un manque de crédibilité lié à son appartenance à l’administration sortante et son refus de se démarquer clairement de Joe Biden. Ensuite, le choix de mener une campagne sans narratif clair, ou aucun message particulier n’émerge et aucun adversaire n’est clairement identifié (à part Trump). Bernie Sanders et Joe Biden n’avaient pas peur de prendre à partie, au moins rhétoriquement, les intérêts des grands groupes industriels et des milliardaires. Harris est plus prudente et peine ainsi à imprimer un message politique qui souffre d’être trop conciliant.
Outre l’économie et l’immigration, Trump insiste sur sa capacité à ramener “la paix dans le monde”. De manière très hypocrite compte tenu de ses menaces proférées contre l’Iran et les ennemis d’Israël, mais globalement de manière bien plus crédible que l’administration démocrate, qui apparait faible et dépassée, car n’assumant pas sa politique étrangère. Biden aide Israël à Gaza, au Liban et contre l’Iran. Il arme l’Ukraine. Mais il prétend défendre un cessez-le-feu au Moyen-Orient et n’a pas su prévenir l’invasion russe, après avoir présidé au retrait bienvenu, mais contesté des États-Unis en Afghanistan. Pour l’américain moyen, les démocrates dépensent des milliards de dollars à l’étranger au bénéfice d’alliés dont les intérêts divergent de ceux des États-Unis et qui se moquent ouvertement de l’actuel occupant de la Maison-Blanche.
La guerre culturelle et l’influence des différents médias conservateurs, financés par des lobbies patronaux ou possédés par des milliardaires proches de l’extrême droite, ont permis de rallier de nombreux primo-votants derrière Donald Trump. D’autant plus qu’il avait en face de lui une candidate contrainte de mener une campagne expresse et nommée par les élites de son parti en remplacement d’un président sortant impopulaire, dont le déclin cognitif avait été honteusement caché aux Américains avant d’éclater au grand jour lors d’un débat télévisé catastrophique.
Pas étonnant que le message éculé “Make america great again” ait de nouveau rencontré un écho indéniable. Joe Biden a le meilleur bilan économique et social depuis au moins Lyndon B. Johnson, mais l’américain moyen n’a que marginalement profité des retombées globalement positives de ses réformes. Or, Kamala Harris a choisi de faire campagne sur la droite de Joe Biden. Au point de mettre en avant le soutien de personnalité républicaine aussi détesté que Dick et Liz Chenney, de promettre d’inclure un membre du parti républicain à un poste clé du gouvernement, de refuser de prendre ses distances avec la politique étrangère de Joe Biden et de tenter de déborder Trump par la droite sur les questions d’immigration. Les faibles gains réalisés auprès des électeurs de centre droit issus des banlieues pavillonnaires n’ont pas compensé l’hémorragie chez les électeurs moins politisés et la démobilisation d’une partie de la base électorale démocrate. En particulier chez les Américains d’origines arabes ou de confession musulmane.
De son côté, Trump a bénéficié des interviews complaisants de la sphère conservatrice, des coups d’éclat médiatiques permis par sa visite scénarisée d’un McDonald ou des retombées positives de la tentative d’assassinat pour se présenter comme un homme combatif et proche des gens.
Enfin, il a profité de tendances historiques de fond : le déclin de la part du vote démocrate chez les minorités afro-américaines et hispaniques, qui s’explique par des facteurs structurels, tout comme celui des ouvriers syndiqués. Le Parti démocrate paye à la fois des décennies de politiques peu favorables à la classe ouvrière et la fin des retombées qu’il touchait depuis qu’il avait défendu le mouvement pour les droits civiques et mis fin à la ségrégation raciale. Les jeunes hommes noirs ne vont plus autant à l’église, où les pasteurs jouent un rôle important pour mobiliser l’électorat démocrate. Et ils ne voient pas nécessairement en quoi les démocrates sont plus engagés concrètement dans la lutte contre le racisme. Trump n’avait qu’à se baisser pour ramasser ces électeurs désenchantés.
Scénario 2 : Kamala Harris met Trump KO.
Comme aux élections de mi-mandat de 2022, les sondages avaient sous-estimé les démocrates. Harris remporte largement le vote national et nettement les États clés dont elle avait besoin pour obtenir la Maison-Blanche. Cette fois, Trump n’aura pas d’espace nécessaire pour semer le doute et contester le résultat. Le Trumpisme est mort et enterré, son leader humilié va, pour la première fois de sa vie, devoir faire face aux conséquences judiciaires de ses nombreuses exactions. L’immunité présidentielle lui échappe, comme l’entreprise vengeresse qu’il avait promis de mener depuis le Bureau ovale. Elon Musk peut retourner à ses fusées, ses efforts pour faire élire Trump n’auront pas été plus fructueux que son rachat de Twitter ou les milliards dépensés pour rendre les voitures Tesla autonomes.
Les sondages se sont de nouveau trompés. Pas en faveur de Trump, comme en 2016, 2018 et 2020, mais en faveur des démocrates, comme en 2012 et 2022. La principale raison est la sur-mobilisation des femmes, qui font payer au Parti républicain la suppression du droit à l’avortement et ses prises de position encore plus extrémistes depuis. Cette mobilisation a été favorisée par différents facteurs : les référendums locaux de certains États qui ont encouragé les électeurs à se déplacer au bureau de vote, en particulier ceux portant sur les lois antiavortement proposées dans différents États. Le “ground game” ou “travail de terrain” pour mobiliser les électeurs a aussi été à l’avantage des démocrates. Ils ont mis sur pied une organisation bien huilée, alors que Trump a sous-traité cet aspect important d’une campagne à des entreprises ayant empoché l’argent en exagérant le nombre de portes toquées, de boites aux lettres ciblées et d’appels téléphoniques passés.
Michael Moore avait de nouveau vu juste : la majorité des Américains n’est pas favorable aux idées portées par le Parti républicain et particulièrement remontée après l’assaut mené contre ses droits reproductifs. Enfin, Trump reste un extrémiste impopulaire dont la vulgarité et la propension à insulter ses adversaires rebutent les Américains au moins autant que ses menaces contre la démocratie.
L’inflation a joué, mais comme lors des midterms de 2022, les électeurs n’ont pas fait confiance au Parti républicain pour défendre le pouvoir d’achat, bien conscients qu’il comptait procéder à des coupes drastiques pour défendre les intérêts des plus riches.
Les sommes records récoltées par Kamala Harris (1 milliard de dollars de dons en 3 mois, dont une partie substantielle via de petits dons individuels) ont permis une fin de campagne très efficace en matière de publicité ciblée et de mobilisation des électeurs. Pendant qu’Elon Musk était contre-productif avec ses initiatives potentiellement illégales perçues négativement par de nombreux Américains, les démocrates ont utilisé leur argent de manière plus professionnelle. Une fois de plus, et contrairement à 2016, la campagne disposant du plus gros budget a logiquement gagné l’élection.
Harris a fait preuve de discipline dans son message, quitte à paraitre moins authentique. Sa décision de participer à de nombreuses émissions télévisées, y compris sur FoxNews, a permis de toucher plus d’électeurs. Comme ses nombreuses interviews données à des podcasts populaires et médias alternatifs. Trump, à l’inverse, a soigneusement évité les interviews difficiles et fait preuve d’un manque de discipline dans sa communication, préférant parler de la taille du pénis d’un golfeur plutôt que de l’inflation et de la crise du logement. Il est paradoxalement apparu moins proche des gens que Kamala Harris, selon les enquêtes d’opinions.
Enfin, Harris a été aidée par quelques circonstances favorables, notamment en Caroline du Nord. L’ouest de l’État, bastion républicain, a été ravagé par un ouragan qui a empêché certains électeurs de Trump de se rendre aux urnes. Et l’implosion du candidat républicain au Sénat, miné par les scandales, a également contribué au différentiel de mobilisation des électorats démocrates et républicains. D’autant plus que le camp démocrate a mis le paquet sur le terrain pour aller chercher ses propres électeurs.
Au final, Harris l’emporte grâce aux faiblesses de son adversaire, qu’elle a su exploiter. Son refus de se désolidariser d’Israël, de confronter le big business et de porter un véritable programme populaire et populiste aurait pu lui couter l’élection. Mais Trump était un trop grand repoussoir et son attaque contre les droits des femmes, un handicap trop lourd à surmonter.
Scénario 3 : Une victoire sur le fil et contestée de Kamala Harris (ou Donald Trump)
Conformément aux sondages, l’élection s’est jouée à un rien. Le résultat ne sera connu que 72 heures après la fermeture des bureaux de vote et fera l’objet de multiples contestations. Au risque de plonger le pays dans une période tumultueuse marquée par les incertitudes et la division.
Les deux tendances sondagières évoquées lors des scénarios précédents se sont “annulées” : le vote en faveur de Donald Trump, en particulier dans la ruralité, avait de nouveau été sous-estimé. Comme sa capacité à mobiliser les abstentionnistes et les couches sociales peu politisées. Mais ces effets déjà observés en 2016 et 2020 ont été contre-balancés par une mobilisation spectaculaire des femmes en faveur des démocrates, comme lors des élections de mi-mandat 2022. Harris remporte le vote national, mais l’issue de l’élection se joue à quelques milliers de voix dans quelques états, comme en 2020.
Trump continue d’inquiéter de nombreux électeurs américains, tandis que la campagne insipide de Kamala Harris a transformé une élection imperdable en résultat sur le fil. Une chose est certaine, l’Amérique est plus que jamais divisée.
La carte que je propose au-dessus ferait du Nevada l’État décisif, mais on peut également imaginer un scénario où Harris l’emporte de justesse sans le Nevada et la Caroline du Nord (NC), mais avec le “mur bleu” du WI, MI et PA. Ou bien une victoire de Trump avec la Caroline du Nord et sans le Nevada.
La prédiction de Politicoboy : ce que mes tripes me suggèrent
Je ne pense pas que le troisième scénario se réalisera pour la simple raison que j’imagine mal les sondages tomber pile-poil dans une marge d’erreur de 1%. Si on admet qu’ils seront globalement biaisés dans un sens ou dans l’autre de plus de 2%, alors l’un des candidats l’emportera nettement (en termes de grands électeurs au moins).
Les sondeurs sont censés avoir ajusté leurs procédés de redressement d’échantillon pour corriger le fait qu’ils sous-estiment le vote Trump (un effet qui serait lié au biais d’échantillonnage : il est plus facile de joindre un électeur démocrate au téléphone ou par internet, car il vit plus en milieu urbain, contrairement au vote rural pro-Trump). Ils sont aussi censés avoir déjà incorporé la sur-mobilisation des femmes. Mais comme on n’a jamais vu une élection présidentielle américaine récente suivre exactement les sondages, il y aura vraisemblablement un écart de 1 à 4 points entre ces derniers et le résultat final - malgré les précautions mentionnées plus haut. Dans quel sens cet écart se manifestera-t-il ?
Les arguments en faveur d’une victoire surprise de Kamala Harris sont séduisants. Et la tentation d’aller à l’encontre de la pensée dominante l’est tout autant. Harris bénéficie d’une cote de popularité très supérieure à Donald Trump. Ce dernier fait une mauvaise campagne, multiplie les outrances, les menaces en tout genre et a abandonné des pans entiers de la rhétorique populiste qui avait fait son succès. Harris n’a besoin de gagner que 3 des 7 États clés et a des chances non négligeables de faire mentir les sondages en Caroline du Nord. Enfin, les sondages montrent que les sénateurs démocrates font 2 à 6 points de mieux que Harris. (Texas, Ohio, Michigan, Montana, Nebraska…). Ses électeurs vont-ils voter démocrate pour le sénat et Trump pour la présidentielle, ou bien finir par choisir un camp ? Au minimum, cela montre que Harris a des marges de progression. Enfin, les micro-sondages réalisés en ciblant uniquement des comtés représentatifs de Pennsylvanie sont plus favorables à Harris, qui réalise de meilleurs scores que Biden auprès des électeurs blancs et non diplômés.
Mes tripes me disent que parier sur Harris ne serait pas si fou. Peut-être en partie par défiance envers le consensus médiatique. Vous pouvez vous faire votre propre opinion à partir des arguments et informations que je viens de vous livrer.
Cependant, au plus profond de moi et compte tenu de mes expériences de 2020 et 2016, je dois reconnaitre être plus convaincu par la perspective d’une victoire de Donald Trump. Pour des raisons fondamentales : les sondages l’avantagent légèrement et l’ont toujours sous-estimé, les Américains sont mécontents de l’administration sortante, la situation au Moyen-Orient empire de jour en jour, la campagne Harris ressemble en de nombreux points à celle de Clinton en 2016, les électorats afro-américains et hispaniques sont de moins en moins acquis aux démocrates et la sphère médiatique conservatrice fait un travail formidable pour aider Donald Trump.
Je serais heureux de manger mon chapeau si je me trompe. Mais si vous me mettez un revolver chargé sur la tempe en me donnant l’ordre de deviner qui sera à la Maison-Blanche fin janvier 2024, je dirais en grinçant des dents… Donald Trump.
Quelques actualités en vrac :
Je vous signale mon dernier passage au Média pour évoquer la campagne présidentielle américaine, entretiens à retrouver ici.
Je n'ai pas trouvé le temps d’écrire sur la situation au Moyen-Orient récemment, mais je vous conseille fortement ce texte de Mona Cholet, très beau et poignant.
Pour vous changer les idées, je vous recommande cet article que j'ai signé pour le média “Frustration Magazine” à propos d’un film culte sur le monde de l’entreprise, “Open Space”.
On se retrouve après la présidentielle américaine pour un débrief.
Votre Politicoboy.
PS: Pour le reste, je parie sur une victoire de Harris en termes de vote populaire (avec une confiance assez faible), le contrôle du Sénat (confiance élevée) pour le Parti républicain, le contrôle de la Chambre (confiance faible) pour le Parti républicain. Et comme surprise, la victoire de Harris en Caroline du Nord (confiance modérée).
Un superbe article sur le droit électoral aux États-Unis d’Amérique du Nord.
Rien n’est simple !
https://aoc.media/analyse/2024/10/24/le-droit-electoral-enjeu-de-la-presidentielle-americaine/
RV