Comment réussir un génocide (partie 2)
Israël a pu compter sur le soutien médiatique et politique des démocraties occidentales pour commettre ses crimes au grand jour, sans aucune pression internationale pour y mettre fin.
Si vous souhaitez perpétrer un génocide sans provoquer le débarquement des Casques bleus de l’ONU, subir les sanctions économiques de la communauté internationale et les frappes chirurgicales de l’OTAN avant de finir dans une cellule à La Haye, le plus simple est probablement de le commettre en toute discrétion. Ce n’est pas ce qu’a choisi de faire Israël. On comptait encore les morts lors de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 que ses dirigeants décrétaient déjà un “siège total” des “animaux humains” de Gaza, prenant 2.2 millions de civils en otages en les privant d’accès à l’eau potable, aux médicaments, à l’électricité et à la nourriture. Puis le ministre de la Défense expliquait lever “toutes restrictions” pesant sur les troupes avant de promettre : “Gaza ne sera plus jamais comme avant. Nous allons tout éliminer”. Son conseiller, l’ancien général Giora Eiland, a ensuite écrit “pour rendre le siège effectif, nous devons empêcher les autres nations d’aider Gaza” afin de laisser deux options à la population “mourir de faim ou partir”. Citant la Bible, le Premier ministre Benjamin Netanyahou s’est adressé aux militaires en leur disant “N’épargnez personne, tuez les hommes comme les femmes et les enfants”. Israël a ensuite entrepris de faire précisément cela, tout en s’employant à filmer ses innombrables crimes de guerre et exactions avant de s’en vanter officiellement.
La Cour Internationale de Justice a estimé par 16 voix contre une qu’il y avait un risque sérieux de génocide. Comme nous l’avions vu en première partie de cette série d’articles, les faits sont accablants et l’intention génocidaire difficilement contestable.
Perdre la bataille de l’opinion pouvait mettre en péril ce projet. Mais l’État hébreu a bénéficié de nombreuses complicités pour éviter que les dirigeants des démocraties occidentales ne se sentent l’obligation de cesser de participer de près ou de loin à ce qui constitue sans conteste le grand crime de notre époque. Si l’opinion publique et la position des démocraties occidentales semblent évoluer depuis quelques jours, le mal est fait. Gaza est virtuellement inhabitable, son écosystème et son agriculture durablement détruits, des dizaines de milliers de civils ont été tués, deux millions de personnes affamées et tout un peuple durablement traumatisé. Dans ce second épisode de notre série sur Gaza, nous allons examiner comment Israël peut commettre un tel crime en toute impunité.
“Un peuple aveugle” dirigé par des “bras cassés” d’extrême droite
À domicile, Israël disposait d’un terreau favorable : des médias locaux refusant de montrer l’horreur de Gaza du point de vue des Palestiniens, une déshumanisation de ces derniers ancrée dans les consciences depuis des années et le traumatisme profond et compréhensible provoqué par l’attaque terroriste du 7 octobre.
Israël, c’est ce pays en proie à une grave crise démocratique, où les dirigeants ouverts à une solution à deux États ont été assassinés par des mouvances dont les principaux représentants sont désormais au pouvoir. Un pays qui avait réprimé les marches pacifistes organisées par les civils de Gaza en massacrant des centaines d’enfants et blessant par balles de milliers de manifestants. Un pays qui, en 2023, avait tué plus de deux cents Cisjordaniens avant le 7 octobre. Un pays qui rationnait les calories entrant à Gaza méthodiquement depuis 2006, entraînant une crise humanitaire permanente tout en demandant au Qatar de continuer à financer le Hamas dans le but de diviser les représentants palestiniens et d’éviter toute négociation risquant de déboucher sur une solution à deux États. Un pays où des civils avaient pris pour habitude de se réunir sur les hauteurs dominant Gaza pour boire du champagne en applaudissant les bombardements aériens fréquemment organisés pour “tondre la pelouse” selon l’expression de l’armée israélienne. Un pays qui emprisonne indéfiniment les adolescents qui refusent de faire leur service militaire. Un pays où l’on organise des festivals de musique à la frontière d’une prison à ciel ouvert sans arrière-pensées. Un pays dont les titres musicaux les plus écoutés sont des chansons de rap appelant ouvertement au génocide et dont une majorité de la population estime que l’armée israélienne fait preuve de trop de retenue à Gaza.
“Je n'ai rien de commun avec ce peuple aveugle, qui a élu Netanyahu, qui a envoyé au gouvernement des "bras cassés" (Elie Barnavi) qui considèrent les Palestiniens comme des vermines et affectent l'armée au soutien des colonies illégales de Cisjordanie (…)” écrivait le journaliste et intellectuel Daniel Schneidermann, trois jours après l’attaque terroriste du Hamas.
Que ce pays « aveugle » et dirigé par un gouvernement d’extrême droite tente de « profiter » de l’attaque terroriste du Hamas pour raser Gaza, massacrer ses habitants et forcer les survivants à fuir pour éviter de mourir de faim et de maladie était prévisible. Mais au lieu de s’opposer à ce crime majeur et restreindre Israël, les démocraties occidentales y participent activement. Au-delà du soutien diplomatique, militaire, financier et logistique, tout a été fait ou presque pour rendre le massacre “acceptable”.
Déshumanisation massive des victimes
Pour éviter que votre opinion publique vous tienne responsable d’un génocide, le plus simple est encore de ne pas en parler. En France, les grands JT n’évoquent quasiment jamais la catastrophe en cours à Gaza. Et lorsqu’ils le font, c’est sans montrer les images atroces qui font le tour des réseaux sociaux ni donner le point de vue des Palestiniens. De même, le conflit fait rarement la une des journaux et lorsque c’est le cas, c’est presque systématiquement pour livrer le point de vue israélien, sans mentionner le désastre humanitaire. On ne compte plus le nombre de rédactions (BBC, CNN, ABC News, BFM, TV5 Monde…) dont les journalistes ont contesté en interne ou par lettre ouverte le biais pro-israélien de leurs chaines. Un “deux poids, deux mesures”, comparé à la couverture de la guerre en Ukraine qui continue de faire les gros titres.
Avant le 7 octobre, les médias occidentaux avaient déjà pour habitude de déshumaniser les Palestiniens, y compris par omission. En premier lieu, comme le relève Acrimed dans un documentaire à voir absolument, les évènements antérieurs au 7 octobre n’ont fait l’objet de quasi aucune couverture médiatique en France ces dernières années. Que ce soit l’accroissement sans précédent des exactions des colons en Cisjordanie, l’explosion des arrestations arbitraires de militants politiques palestiniens, la répression sanguinaire de la marche pacifique pour le droit au retour, les récentes campagnes de bombardement de Gaza, l’accélération des expulsions de Palestiniens à Jérusalem, l’assassinat d’une journaliste américano-palestinienne par l’armée israélienne en Cisjordanie et la profanation de son cercueil ou la multiplication des agressions contre les touristes chrétiens par des fondamentalistes israéliens à Jérusalem. Ou plus simplement, l’augmentation drastique des tensions entre Israël et les Palestiniens dans les semaines qui ont précédé l’attaque.
L’invisibilisation médiatique du calvaire palestinien a permis de présenter l’attaque terroriste comme un évènement singulier surgissant de nulle part. Et la réaction d’Israël comme la riposte légitime d’un État agressé, un affrontement entre “la civilisation et la barbarie” (selon l’éditorialiste et philosophe de plateau Raphaël Enthoven, reprenant mot pour mot une déclaration de Benjamin Netanyahou). Chercher à expliquer pourquoi le Hamas avait commis de tels crimes reviendrait à vouloir “expliquer la barbarie” ce qui serait “monstrueux” toujours selon monsieur Enthoven.
Avant le 7 octobre, rien. Après ? Une disparition rapide et progressive du conflit dans l’espace médiatique. Ni la décision historique de la Cour Internationnale de Justice, ni les alertes des humanitaires vis-à-vis de la famine, ni les reportages terrifiant des équipes de CNN dans les hôpitaux de Gaza n’y changeront quelque chose.
À l’invisibilisation temporelle s’ajoute une dimension spatiale. Les nombreux civils tués au Liban et surtout les violences inouïes déployées par les colons et l’armée israélienne en Cisjordanie depuis le 7 octobre ne sont pratiquement jamais évoquées, alors que leur existence contredit les arguments faisant peser la responsabilité du conflit sur le seul Hamas (qui n’est pas présent sur ces territoires). Dans un reportage effroyable et terrifiant, le New York Times parlait pourtant de “nettoyage ethnique” à propos de la situation en Cisjordanie.
Que ce soit via les éditorialistes réactionnaires des plateaux télévisuels ou de la bouche de l’ancien président François Hollande dans la matinale de France Inter (le 7 février), une thèse a rapidement émergé dans le débat public : toutes les vies ne se vaudraient pas. Il serait plus tragique d’être tué d’une balle dans la tête à bout portant par un militant du Hamas que de périr après avoir agonisé pendant des jours sous les décombres d’un bombardement israélien. L’effroi et la violence ressentie ne seraient pas comparables. Même si depuis 2014 les familles de Gaza ont pris l’habitude de débattre de la meilleure attitude à adopter durant les bombardements : se réfugier dans la même pièce pour mourir ensemble ou se séparer pour préserver la lignée généalogique.
Cette hiérarchisation est d’autant plus abjecte qu’on sait désormais que des dizaines de Palestiniens sont morts de suites de leur détention et de tortures, que des dizaines d’enfants de 5 à 8 ans ont été tués par des tirs de snipers en pleine tête, que de nombreux prisonniers ont été exécutés sommairement et des septuagénaires et mères de famille abattus froidement dans leurs maisons, devant leurs enfants. Autrement dit, que l’infanterie israélienne se comporte comme les terroristes du Hamas (à la différence près qu’elle poste ses exactions sur les réseaux sociaux).
Invisibilisation des coupables
La déshumanisation des Palestiniens est encore plus flagrante dans la manière de décrire et rapporter les faits, et ce depuis des années. Le procédé le plus courant consiste à ne jamais mentionner le coupable lorsque des Palestiniens sont tués ou des bâtiments civils pris pour cible. On lira “un médecin de MSF est mort à Gaza” ou “le bâtiment de l’AFP a été bombardé ” et “neuf Palestiniens sur dix sont en situation de malnutrition”. Comment, à cause de qui ? Impossible de le savoir en lisant le titre des dépêches reprises par tous les journaux, JT et flash info radios. Ainsi, le New York Time décrivait le massacre de 7 humanitaires occidentaux par trois frappes successives de drones israéliens en titrant “Ils venaient de distribuer des tonnes de nourriture. Puis leur convoi a été frappé”. Par qui et par quoi ? Mystère. Et on parle ici de victimes occidentales, dont un citoyen américain.
Les victimes palestiniennes sont rarement nommées ni leur situation décrite (on lit “un, homme, une femme… alors qu’on parlera souvent de père de famille pour une victime israélienne, précisera souvent l’âge et le prénom). Lors des échanges d’otages durant la trêve négociée en décembre, la presse occidentale parlait d’enfants israéliens, mais de “mineurs” palestiniens malgré les âges similaires (les premiers étant qualifiés d’otages, les seconds de prisonniers, alors que dans les deux cas ils avaient été placés en captivité sans procédure judiciaire, pour des raisons politiques). On parlera également de “mauvais traitement” infligé aux Palestiniens et de “torture” subie par les Israéliens. D’agression sexuelle pour les uns, de viols pour les autres. Même lorsque leurs confrères sont tués par un tir de l’armée israélienne, l’agence Reuters rapporte l’évènement comme un “décès” survenu à la frontière libanaise suite à un tir militaire, sans préciser d’où il provenait (d’un char israélien prenant les journalistes délibérément pour cible, pour être clair).
Vous pouvez vous amuser à repérer ces procédés sémantiques hautement créatifs dans la presse.
Le New York Time a écrit un titre en forme de Haïku pour éviter de préciser comment ni à cause de qui étaient morts les 118 Palestiniens lors du “massacre de la farine”. Cinq jours plus tard, alors que l’AFP rapportait un massacre similaire (des Palestiniens attendant de l’aide humanitaire à un point de distribution pris pour cibles par l'armée israélienne) ayant fait plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés, le quotidien de référence titrait “Au moins vingt morts en attendant de l’aide alimentaire, selon les autorités de Gaza. La cause n’était pas immédiatement claire”. En effet, qui aurait bien pu massacrer ces civils ? Et même si le doute était initialement permis, l’emploi du passé signifie que le coupable est désormais identifié. Pourquoi ne pas le nommer ?
Un document interne au New York Time transmit au site d’investigation The Intercept révèle une liste de consignes internes au journal. Il est demandé aux journalistes d’éviter les termes “Palestine”, “camp de réfugiés”. “occupation”, “territoires occupés”, “massacre” et “tuerie”. Pourtant, depuis le 7 octobre, le mot “massacre a été utilisé 52 fois pour décrire des morts israéliens et une seule fois pour des palestiniens, explique The Intercept. Le ratio pour le mot “tuerie” ? 22 fois plus employé pour des victimes israéliennes que palestiniennes.
Le choix des mots est déterminant. En parlant de guerre Israël - Hamas, Israël - Gaza, ou de conflit israélo-palestinien, on sous-entend que deux camps de force et de nature comparable s’affrontent, pas qu’une puissance nucléaire financée et armée par les États-Unis massacre une population vivant depuis 80 ans sous l’occupation de ladite puissance coloniale et depuis trente ans en état de siège permanent à Gaza. Cela permet de minimiser les crimes de guerre d’Israël. Des milliers d’enfants ont été amputés d’un membre sans anesthésie ? La population meurt de faim et subit une dégradation de son apport calorique à une vitesse jamais vue dans l’Histoire moderne ? “Mais c’est la guerre, mon bon monsieur, et la guerre ce n'est jamais joli !”.
Sauf qu’on n’avait encore jamais fait la guerre à une organisation terroriste dans une enclave aussi densément peuplée tout en empêchant 2 millions de civils de fuir et de recevoir de l’aide humanitaire. Ce qui explique pourquoi on déplore davantage d’enfants tués en quatre mois à Gaza que dans le reste du globe en quatre ans.
Si le 7 octobre est qualifié d’attaque terroriste, la tuerie du 29 février qui a emporté 118 Palestiniens n’est pas décrite comme un massacre, mais un accident. Malgré la décision historique de la Cour de Justice Internnationale, le mot génocide est virtuellement banni du débat public. Un journaliste de Libération publiait récemment une tribune intitulée “La qualification de génocide à Gaza : une accusation de trop”, contredisant le rapport de l’experte de l’ONU mandatée sur place.
De même, la famine imposée par l’armée israélienne est souvent présentée comme une sorte de conséquence malheureuse de la guerre voir une catastrophe naturelle. Le Monde explique qu’Israël “assume sa stratégie de la faim” avec une distance remarquable, détaillant les motivations politiques sans trop s’arrêter sur les conséquences humaines ni ce que cette “stratégie” implique du point de vue du droit international. Dans un article paru le lendemain, le quotidien de référence parle de “cacophonie et chaos autour de l’aide humanitaire”. À croire que l’ambiance sur place est bon enfant.
Lorsque les images de civils palestiniens paradés en sous-vêtements, forcés de rester dans des positions de soumission douloureuse dans le froid pendant des heures, menottés et les yeux bandés, sont diffusées par Israël, le journaliste de Libération Jean Quatremer minimise ce crime de guerre en commentant sur LCI :
“Il s’agit de terroristes du Hamas”. Comment le sait-il ? Il découvre les images en direct, a-t-il eu le temps de vérifier ? Quand bien même ce serait le cas, la convention de Genève interdit de diffuser des images de prisonniers de guerre, sans même parler des violations manifestes des droits de l’Homme. Jean Quatremer avait pourtant comparé l’occupation israélienne de la Cisjordanie à celle de la France par l’Allemagne nazie, évoquant “une violence, le racisme, le mépris, un apartheid”. Mais il ne semble pas capable de faire autre chose que de minimiser les crimes d’Israël lorsqu’ils sont diffusés en direct.
La presse israélienne nous a appris qu’on ne leur avait jamais retiré les menottes et les bandeaux, les forçant à manger avec une paille et déféquer dans des couches. Des amputations des jambes et des mains sont fréquemment pratiquées sur ces prisonniers, à cause des blessures causées par le port permanent des menottes. Un traitement qu’on n’oserait pas infliger à du bétail, mais qui ne suscite aucune indignation en France.
Lorsque France 5 évoque enfin des images publiées par les soldats israéliens en train de commettre des crimes de guerre et exactions, ce comportement est excusé à l'aide d’arguments infantilisants. Les soldats seraient indisciplinés et trop impréparés à la guerre. L’idée que des décennies de déshumanisation des Palestiniens au sein de la société israélienne aient préparé ces femmes et ces hommes à se comporter comme des barbares génocidaires n’est pas envisagée. Le fait que les dirigeants israéliens aient eux-mêmes levé « toute restriction » et encouragé les soldats à être sans merci non plus. Imagine-t-on les mêmes commentateurs excuser les crimes des soldats russes au prétexte qu’ils aient été pris de court par la décision de Poutine d’envahir l’Ukraine ? “Vous comprenez, ils se vantent d’avoir torturé des civils parce qu’ils sont jeunes et insouciants.”
Complicité médiatique : négationnisme, double standard et propagande
Avant de justifier la torture des prisonniers, les principaux médias hexagonaux expliquaient les pertes civiles terrifiantes en invoquant l’usage de boucliers humains par le Hamas. Manque de chance, une enquête d’un média israélien vient de révéler que l’armée israélienne utilisait des logiciels d’Intelligence artificielle pour traquer les membres présumés du Hamas. Plus de 37 000 cibles ont ainsi été désignées par le programme informatique, sans intervention humaine, sur la simple base d’analyse de signaux faibles. L’armée israélienne procède à leur élimination à l’aide d’un second programme informatique appelé “Where is dady ?” (Où est Papa) qui tracte les déplacements des cibles et indique quand le présumé terroriste a rejoint son domicile familial. C’est seulement là qu’une frappe aérienne (avec une bombe non guidée, pour faire des économies) est menée. L’approbation de la frappe prend une vingtaine de secondes et seul le fait que la cible soit bien un adulte de genre masculin est vérifié, toujours selon l’enquête israélienne.
Résultat : des familles entières sont éliminées pour abattre un membre présumé du Hamas (au moins une fois sur dix, le logiciel se trompe quant à la culpabilité de la cible). Parfois, la maison ou l’immeuble a été détruit sans que la cible ne s’y trouve. Autrement dit, l’armée israélienne accusait le Hamas d’avoir recours à des boucliers humains alors qu’elle attendait délibérément que les combattants du Hamas rentrent dans leur famille pour les bombarder ! (LCI, dans la vidéo, ci-dessus, se réveille un peu tard…).
Pour un membre présumé du Hamas sans responsabilité, jusqu’à vingt victimes collatérales sont autorisées. Pour un haut responsable, Israël est monté à plusieurs centaines, détruisant des quartiers entiers pour un unique commandant de bataillon. En comparaison, l’armée américaine avait fixé le maximum de victimes collatérales pour tuer Oussama Ben Laden à vingt civils.
Lorsqu’il n’est pas justifié en reprenant les arguments de l’armée israélienne, le nombre inédit de victimes civiles (dont 40% d’enfants nous apprend Le Monde) est simplement contesté. Les chiffres ont beau avoir été relayés par Joe Biden et être utilisés par l’armée israélienne elle-même, ils sont presque systématiquement cités en précisant “selon le ministère de la Santé du Hamas” ou, pire encore, “selon le Hamas”. Il s’agit d’une reproduction pure et simple de la communication des autorités israéliennes. Dans aucun autre conflit, les chiffres des victimes ne sont cités en précisant quel parti politique dirige le ministère de la Santé. Imagine-t-on la presse ajouter “selon le gouvernement d’extrême droite israélien” à chaque fois qu’elle cite une information issue des autorités israéliennes ?
Associer le mot “Hamas” aux décomptes des victimes contribue à jeter le discrédit sur l’ampleur de la catastrophe. Un procédé équivalent à la négation d’un génocide, alors que le nombre de témoignages de médecins occidentaux et d’images qui parviennent de Gaza laisse - au contraire - craindre que le nombre de victimes soit bien plus élevé que ne le laissent entendre les chiffres officiels. Pourtant, milieu avril, c’était au tour du journal Libération de chipoter sur le décompte, à partir d’une analyse statistique qu’un autre article du journal jugeait douteuse.
Lorsqu’Israël a “assumé” utiliser la famine comme arme de guerre et que des images et rapports terrifiants provenaient de l’ONU et de CNN attestant l’ampleur de la gravité de la situation, LCI pouvait encore compter sur David Pujadas et ses équipes pour se lancer dans une invraisemblable “enquête” visant à mettre en doute la réalité. Les enfants filmés en train de mourir de faim souffraient de maladies génétiques et à Rafah, on pouvait encore voir des étals bien garnis dans certains marchés ! Pas de raison de s’inquiéter, donc.
De manière générale, un double standard s’exerce dans le crédit apporté aux informations. Si elles viennent des autorités israéliennes ou de militants israéliens (comme pour les fake news sur les bébés décapités ou placés dans un four), elles sont traitées comme parole d’évangile ou, au minimum, vraie jusqu’à preuve du contraire. Lorsque ce sont les médecins de MSF, les rapporteurs de l’ONU, les Palestiniens filmant les massacres à Gaza, Al Jazeera ou les autorités palestiniennes, les informations sont systématiquement mises en cause. Le doute est nécessaire, mais le fait qu’il ne soit pas appliqué à Israël, en dépit de son passif disqualifiant en matière de mensonges et de malversation, en dit long sur la complicité médiatique des démocraties occidentales.
Allumer des contre-feux médiatiques
À intervalles réguliers, Israël a allumé des contre-récits médiatiques permettant de détourner l’attention de ses crimes et de fournir des motifs de diversion à ses alliés. Ces derniers ont reproduit les mêmes procédés pour éviter tout questionnement de leur complicité dans le grand crime de notre époque.
Les fake news et affirmations sans preuve au sujet du 7 octobre ont constitué la première vague. Nous y reviendrons. Ils ont été suivis d’une campagne médiatique visant à justifier le massacre de civils en accusant le Hamas d’utiliser des boucliers humains, alors qu’Israël ciblait délibérément les familles des membres présumés en pleine nuit. Les premières frappes sur les hôpitaux ont été niées, avant que ces centres de soins soient méthodiquement pris d’assaut et détruits au prétexte qu’ils abritaient des centres de commandement du Hamas. Pour justifier les bébés prématurés laissés pourrir dans les couveuses, Israël a diffusé des vidéos truquées (comme l’ont reconnu la BBC et d’autres grands médias internationaux) visant à démontrer l’existence des centres de commandement en question, sans succès.
Puis on a eu le droit aux accusations non étayées, voire mensongères, d’emploi massif et systémique du viol comme arme de guerre par le Hamas.
Puis, le jour du verdict de la Cour Internantionnale de Justice, Israël part en croisade contre l’UNRWA. L’ONG onusienne se voit accusée d’avoir employé 14 personnes ayant pris part à la préparation de l’attaque du 7 octobre. Cet organisme fait pourtant valider par Israël la liste de ses employés. Israël accuse sans fournir la moindre preuve ? Pas de problème, les États-Unis et d’autres pays occidentaux annoncent immédiatement mettre fin aux dons financiers dont l’organisme dépend, mettant de fait en péril les conditions d’existence de millions de Palestiniens qui ne vivent pas à Gaza. Mais même si cette organisation qui emploie 14 000 Palestiniens abritait des membres du Hamas, pouvait-on la rendre comptable de l’affiliation de ses employés et de leurs faits et gestes ? Face à l’absence de preuve, l’Union Européenne a annoncé rétablir son financement. Trop peu et trop tard, alors que la famine fait des ravages et que l’aide humanitaire était bloquée par Israël.
Outre le contre-feu médiatique évident, cette accusation vise aussi à en finir avec l’UNRWA, organisation qui agit comme une épine dans le pied du projet de nettoyage ethnique de l’extrême droite israélienne. L’UNRWA fait vivre des millions de réfugiés et perpétue la notion de droit au retour qui va à l’encontre du fameux projet “un État juif de la mer jusqu’au Jourdain” qui est inscrit au programme du Likoud, le parti de Netanyahou.
La France n'est pas en reste. On citera la manifestation contre l’antisémitisme organisée avec le RN et l’hommage sélectif aux victimes du conflit. Plus récemment, des étudiants pro-palestiniens de Science-Po ont été faussement accusés d’avoir tenu des propos antisémites par des étudiants membres du syndicat UJEF (Union des Étudiants Juifs de France). Malgré les démentis des accusés et de l’étudiante soi-disant victime des propos antisémite, le gouvernement s’est engouffré dans cette affaire en prenant pour argent comptant les accusations de l’UJEF, provoquant une énième polémique au moment précis où Israël massacrait des centaines de civils palestiniens venus recevoir de l’aide humanitaire.
Censurer les critiques
Les (rares) voix à s’être élevées contre l’offensive israélienne à Gaza et le génocide ont été attaquées ou censurées. Souvent sur fond d’accusation d’antisémitisme ou d’apologie du terrorisme.
Cela a commencé dès le 8 octobre avec l’interdiction de manifestation pour un cessez-le-feu et la libération des otages en France et dans de nombreux pays occidentaux. Des slogans comme “From the river to the sea, palestine will be free” (Du Jourdain à la mer, la Palestine sera libre) ont été qualifiés d’appels au génocide ou d’antisémitisme. Le slogan incarne pourtant la demande de nombreux Palestiniens en faveur d’une solution à un seul État où tous les citoyens seraient égaux en droit (la solution à deux États ayant été enterré depuis longtemps par la classe dirigeante et une majorité d’électeurs israéliens). Le pire étant que ce slogan figure au programme du Likoud, mais avec un sens bien différent, comme nous l’avons vu.
Cela n'a pas empêché un réseau social comme Facebook de pratiquer une censure de masse des posts et comptes employant ce slogan, de voir des manifestants arrêtés et inculpés pour antisémitisme ou apologie de terrorisme en France ou au Royaume-Uni, d’avoir des présidents et associations d’étudiants inquiétés aux États-Unis (la présidente de la prestigieuse Penn University ayant été contrainte de démissionner après n'avoir pas assez clairement dénoncé l’usage de la phrase sur son campus). En France, plus de 600 personnes ont été attaquées en justice pour apologie du terrorisme et la basketteuse française Emilie Gomis s’est vue retirée sa fonction d’ambassadrice des Jeux olympiques après intervention du CRIF, à cause d’un post Instagram relayé puis rapidement retiré.
Dans le délire ambiant, on a ainsi pu entendre sur les chaines de la télévision française que “fuck antisémitisme” était un tag antisémite. L’artiste et dissident chinois Ai Wei Wei a vu son exposition annulée (sic).
Des personnalités aussi consensuelles que Dominique de Villepin ont été accusées d’antisémitisme en manipulant ses propos dans une tentative évidente de censurer ces passages à la télévision où il prônait une approche diplomatique et modérée pour sortir de la spirale de violence. Aux États-Unis, des journalistes du New York Times et de MSNBC ont été licenciés pour soupçon de biais pro-palestinien. En France, le journaliste de TV5 Monde qui fut le premier à mener une interview digne de ce nom du porte-parole de l’armée israélienne a été inquiété par sa direction.
Toujours en France, des opposants politiques comme Jean-Luc Mélenchon et les cadres de son parti sont régulièrement accusés par des journalistes officiants sur des chaines de télévisions et radios d’être antisémites et de faire l’apologie du terrorisme (même le journal de gauche et indépendant Médiapart a pondu un article évoquant les propos “pouvant être considérés comme antisémite” de Mélenchon). Le Journal Le Monde a également publié un article sur son “ambiguïté vis-à-vis de l’antisémitisme”. Le leader des Républicains, François Belamy, l’a ainsi accusé “d’apologie du terrorisme” et “d’instrumentalisation de l’antisémitisme à des fins électorales”. Le Garde des Sceaux a répondu aux multiples injonctions d’un journaliste d’Europe 1 (“Mélenchon est-il antisémite ?” ) par l’affirmative. On a ainsi pu entendre à son sujet “Mélenchon est devenu le porte-parole du Hamas en France” (Monsieur Godnadel, éditorialiste proche de Marine Le Pen, sur Cnews), “qu’ils aillent chercher les voix des terroristes, il faudra qu’ils rendent des comptes” (Cyril Hanouna) “Je le dis au premier imam de France qu’est devenu Mélenchon, ferme bien ta gueule” (éditorialiste sur RMC-BFMTV). Deux meeting de Jean-Luc Mélenchon dans les université de Rennes 2 et Bordeaux ont été annulé par les directions suites aux pressions politiques. Il serait question d’en annuler un troisième à Lille, à la demande de députés de droite. En pleine campagne électorale pour les européennes.
En Allemagne, pays le plus virulent en matière, Yannis Varoufakis a été interdit d’entré de territoire et n’a pas le droit de participer virtuellement à des conférences et débat public.
La Mairie de Paris avait fait interdire une conférence “contre l’antisémitisme et son instrumentalisation” par crainte que l’intellectuelle juive Judith Butler critique le gouvernement israélien. 1300 universitaires français ont signé une tribune dénonçant la censure professionnelle dont ils étaient victimes, citant l’annulation de rencontres universitaires et les pressions professionnelles. Le réalisateur de confession juive Johnatan Glazer, qui vient de recevoir un oscar pour son film sur l’holocauste, a été très durement critiqué suite à son discours mettant en cause l’offensive israélienne à Gaza et les crimes du Hamas. Plus de 150 personnalités juives d’Hollywood ont signé une lettre pour lui apporter leur soutien.
Les États-Unis ont tenté de faire interdire le réseau social TikTok au prétexte que ses utilisateurs auraient un biais pro-palestinien. La Chambre des représentants a fait voter une résolution déclarant que la critique du sionisme était de l’antisémitisme. Nancy Pelosi, une figure incontournable du Parti démocrate, souhaitait que le FBI enquête sur les militants pro-palestiniens en évoquant des manipulations potentielles de la Russie… On s’arrêtera là pour les exemples.
Instrumentaliser les victimes du 7 octobre
Les crimes du 7 octobre et la prise d’otages sont horribles et injustifiables. Même si cela peut paraitre abject, il est nécessaire de revenir sur les différentes manières dont cette tragédie absolue a été instrumentalisée.
L’affirmation selon laquelle 40 bébés auraient été décapités, reprise par le président américain Joe Biden, a constitué la première “fake news” post 7 octobre. Biden a été jusqu’à mentir, comme le concèdera ensuite la Maison-Blanche, en affirmant qu’il avait vu les photos des corps décapités. Le Monde vient de publier une enquête retraçant le chemin de cette fake news. Non seulement aucun bébé n’a été décapité, mais on ne compte “que” deux nourrissons parmi les 36 victimes mineures (ce qui est déjà beaucoup trop). L’un a été tué par des balles à travers une cloison, l’autre a succombé à une césarienne pratiquée en urgence sur sa mère blessée. Dès les premières heures qui ont suivi sa diffusion, CNN rétractait l’information sur les 40 bébés décapités. Le lendemain, le média Arrêt sur Image mettait en cause la rumeur en citant le correspondant du Monde sur place.
Cela n’a pourtant pas empêché des ministres (Aurore Bergé) et multiples journalistes de reprendre cette fake news en mentant sur le fait que cela avait été confirmé par les autorités israéliennes, pour mettre en cause les critiques d’Israël et les appels aux cessez-le-feu. La journaliste Caroline Fourest a même pu réaliser un édito sur France Télévision pour expliquer que nier le fait que des bébés aient été décapités constituait une grave “fake news” (sic).
De même, des rapports de viols au Kibboutz de Beri, de bébé brulé dans un four et de fœtus sortis du ventre de leur mère et poignardés se sont avérés faux. Les mêmes personnes à l’origine de ces mensonges ont été utilisées comme sources principales par une enquête sur commande réalisée par le New York Times (cf. mon intervention à ce sujet pour Le MédiaTV) visant à affirmer que le Hamas avait utilisé le viol comme arme de guerre systémique. Une affirmation qui n’est toujours pas démontrée, mais qui a été instrumentalisée à de multiples reprises par la diplomatie israélienne, le Congrès américain et les médias occidentaux.
Les centaines de cadavres brûlés vifs ont également été mis en avant, les médias rappelant que la mort par le feu est parmi la plus douloureuse qui soit tout en indiquant qu’il était difficile de les identifier compte tenu de la sévérité de la combustion des corps. Deux cents de ces corps se sont avérés être des Palestiniens tués par Israël. De 1400 morts, le décompte officiel est passé à 1147. Si on soustrait les 376 militaires et membres des forces de l’ordre tués lors de l’attaque, on tombe à 696 civils israéliens, dont 36 enfants et 70 Arabes. C’est beaucoup trop, trois fois le nombre de palestiniens tués en Cisjordanie en 2023 avant le 7 octobre, mais c’est beaucoup moins que les 14 000 enfants palestiniens tués à ce jour. La presse israélienne a par ailleurs rapporté que l’armée israélienne était à l’origine d’au moins une vingtaine de morts israéliens le 7 octobre, ces troupes bombardant les positions du Hamas dans les Kibboutz et des voitures repartant vers Gaza sans égard pour les civils qui s’y trouvaient encore en vie. La cellule d’investigation d’Al Jazeera English a répertorié trente civils israéliens tués par l’armée israélienne, du fait de la doctrine Hannibal qui cherche à éviter la prise d’otages à tout prix.
Un autre aspect a été l’accent mis sur le festival de musique où le plus large massacre de civils a eu lieu. Présenté comme un “festival pour la paix”, ce festival n’avait rien d’un évènement organisé à des fins politiques. Une victime dont le profil a beaucoup circulé se décrivait sur les réseaux sociaux comme une “fervente supportrice de l’armée israélienne”. Une armée qui multiplie les crimes de guerre depuis des années. Comme le disaient une intervenante franco-israélienne sur France 5 et le géopolitologue Dominique Moïsi sur France Info, la simple tenue de ce festival à la frontière d’une prison géante témoignait de l’indifférence vis-à-vis de la situation de crise humanitaire et de privation de liberté qui existait à Gaza avant le 7 octobre.
On sait désormais de source israélienne que l’armée avait anticipé le risque d’attaque, mais autorisé le prolongement du festival une journée de plus. Le Hamas n’avait pas prévu de s’y attaquer, certains de ces militants qui y sont arrivés ont tenté de le quitter pour rejoindre leur cible initiale, d’autres ont commis les atrocités que l’on sait. Le fait que le massacre n’était pas prémédité ne le rend pas moins condamnable et injustifiable pour autant. Mais il montre que les évènements du 7 octobre sont plus complexes à analyser que le suggère l’étendue des crimes et des horreurs commises.
Cela ne saurait minimiser l’attaque terroriste du 7 octobre et les graves crimes de guerre commis, y compris la prise d’otages. Il est important de le répéter ici.
Au lieu de mettre l’accent sur les crimes horribles commis le 7 octobre, les médias et autorités israéliennes ont mis en avant des crimes qui n’avaient pas été commis, répétant sans cesse les fake news concernant les mutilations de bébés et les viols de jeunes filles démentis par leurs familles. L’intention d’instrumentaliser ce massacre semble évidente.
À l’intention des journalistes et dirigeants occidentaux, le gouvernement israélien a compilé un film montrant l’horreur et les crimes de guerre commis ce jour-là. Les journalistes qui ont vu ce film témoignent de l’extrême violence (une journaliste française a dû quitter la salle en proie à des vomissements). On y voit le corps d’un soldat mort en train d’être décapité, des soldats sans armes être tués et de nombreuses autres horreurs et crimes de guerre. La scène fréquemment racontée comme la plus insoutenable montre un terroriste du Hamas pénétrer dans une maison et lancer une grenade dans la pièce ou tente de se réfugier un père et ses deux enfants, tuant l’homme sur le coup. Puis, devant les enfants couverts du sang de leur père et blessés, l’individu se sert un coca dans le réfrigérateur.
Cette scène rappelle d’autres crimes similaires perpétrés par l’armée israélienne, comme nous l’avions noté dans la première partie de cet exposé.
Le film est aussi marquant par d’autres aspects. Certains miliciens du Hamas demandent à leurs pairs de ne pas tirer sur les civils présents au festival de musique, pour conserver leurs munitions pour les militaires israéliens. Un autre demande aux civils la direction de la ville où se trouve la garnison la plus proche. Le film ne montre pas de meurtre d’enfant, ni de torture ou de viol. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas eu lieu (36 enfants sont morts, des rapports crédibles de viols ont été rapportés par l’ONU, les images d’une jeune femme à moitié nue transportée à Gaza en trophée ont fait le tour du monde, etc.). Les otages libérés depuis racontent des violences sexuelles et des conditions de détention assimilable à de la torture. Mais les crimes du Hamas et l’horreur injustifiable du 7 octobre ne permettent pas de justifier d’autres crimes de guerre, contrairement à ce que de nombreux éditorialistes, journalistes et politique sou-entendent plus ou moins explicitement.
Reprise des arguments israéliens les plus discutables
Avant de conclure, il apparait nécessaire de revenir sur certains des principaux tropismes et arguments déployés pour défendre l’action du gouvernement israélien, car ils continuent d’être employés dans le débat public.
a) Israël a le droit de se défendre
Tout État a le droit de se défendre lorsqu’il est attaqué par une puissance extérieure. Ce principe est évoqué pour justifier l’offensive à Gaza. Mais Israël n’a pas été attaqué par un autre État. Du point de vue du droit international, Israël occupe illégalement Gaza et la Cisjordanie depuis 1967. Et refuse la création d’un État palestinien. La politique de Netanyahu visant à financer le Hamas via le Qatar étant précisément conçue pour empêcher les négociations, comme s’en est vanté le principal intéressé. Le gouvernement israélien n’a qu’une seule perspective à offrir aux Palestiniens : occupation permanente, siège militaire, nettoyage ethnique.
Le droit à se défendre ne s’applique pas contre un peuple et /ou un territoire que vous occupez illégalement, comme l’ont rappelé des représentants de l’ONU. Mais quand bien même cet argument juridique apparaitrait trop faible (“que voulez-vous, qu’Israël ne réponde pas aux attaques du 7 octobre ?”), il y a une différence entre l’idée de “se défendre” et celle de rendre un territoire inhabitable en le réduisant à un tas de gravats sous lequel est enfoui près d’un habitant sur cinquante.
Comme l’ont remarqué plusieurs experts et géopolitologues, Israël n’a pas besoin de détruire le Hamas pour assurer sa sécurité. L’attaque du 7 octobre n’a été possible - du point de vue strictement militaire - qu’à la suite d’une invraisemblable faillite des dirigeants israéliens. Ils ont ignoré les multiples alertes provenant de leur propre service de renseignement, de l’Égypte, des officiers de l’armée et des soldats postés à la frontière de Gaza. Au lieu de renforcer la sécurité, ils ont dégarni la frontière en affectant les troupes à la protection des colons de Cisjordanie qui commettaient des exactions. Et ils ont rendu obligatoire les jours de permissions pendant les fêtes religieuses.
Même si respecter le droit international et donner un État aux Palestiniens sont des solutions inconcevables, il était possible de renforcer la frontière tout en menant des actions ciblées à Gaza contre le commandement du Hamas.
b) Israël est une démocratie
Le quotidien israélien Haaretz remet régulièrement en cause la notion selon laquelle Israël serait une démocratie. Des manifestations massives ont eu lieu avant le 7 octobre pour défendre la démocratie israélienne contre la réforme des institutions voulue par Netanyahu. Mais surtout, être une démocratie ne donne pas tous les droits. En invoquant le fait qu’Israël soit une démocratie pour défendre ses crimes de guerre, c’est l’idéal démocratique qu’on affaiblit.
c) Israël vise à détruire le Hamas et libérer les otages
L’idée qu’Israël poursuit des buts louables (détruire une organisation terroriste et libérer les otages) est répétée pour défendre ses exactions. Le problème est qu’Israël ne cherche pas en priorité à détruire le Hamas ou libérer les otages. Le 28 janvier, les dirigeants de l’extrême droite israélienne et 11 députés du Likoud ont tenu une conférence visant à organiser la colonisation de Gaza. Les efforts déployés pour rendre l’enclave inhabitable (destruction de l’agriculture, du système de santé, des écoles, universités, lieux de culte, villes et villages entiers après qu’ils eurent été abandonnés) permettent de douter que la seule destruction du Hamas guide la main d’Israël. Et quand bien même ce serait le cas, ce but est irréaliste. On ne tue pas l’idée d’une résistance armée à coup de bombes. Et après 6 mois de guerre, l’organisation continue de superviser la distribution de l’aide alimentaire, de tuer des soldats israéliens en zone de combat, de détenir une centaine d’otages et de négocier leur libération.
Cette libération n’est clairement pas le but premier d’Israël. Un journal israélien a rapporté que l’armée avait tué une dizaine d’entre eux via des frappes aériennes visant des bâtiments où la potentielle présence des otages était connue des militaires. Les multiples refus de cessez-le-feu contre leur libération lors des négociations sont éloquents. Les familles des otages elles-mêmes manifestent contre le gouvernement israélien avec le soutien de dizaines de milliers de manifestants. Le 7 octobre, l’armée a tiré sur les positions du Hamas sans aucun égard pour les civils israéliens, brulant des voitures où au moins une civile était présente. Et le fait de torturer publiquement les prisonniers palestiniens fait peser un risque terrible sur les otages qui pourraient subir des représailles, comme s’en alarmait le quotidien Haaretz.
d) Il y avait un cessez-le-feu avant le 7 octobre, le Hamas l’a rompu
Cet argument vise plus largement à faire du Hamas le seul responsable de la situation. Mais le 4 octobre 2023, Israël bombardait déjà Gaza pour le 3e jour consécutif. Des manifestants pacifiques avaient été pris pour cible par des snipers leur tirant dans les jambes. La situation était déjà ultra-violente. Sans parler de la Cisjordanie où 234 Palestiniens avaient été tués depuis le début de l’année.
e) Le Hamas peut mettre fin à la guerre en acceptant de se rendre et de libérer les otages
Cette idée séduisante reste une pure vue de l’esprit. Outre le fait que les tortures infligées aux prisonniers palestiniens risquent de dissuader les militants du Hamas de se rendre, le comportement d’Israël en Cisjordanie et à Jérusalem comme la promesse du gouvernement israélien et des principales forces d’opposition de refuser une solution à deux États ne laisse aucune autre perspective aux Palestiniens que la résistance.
Enfin, le fait que de nombreux dirigeants israéliens (ainsi que le gendre de Donald Trump qui était son envoyé spécial au Moyen-Orient et pourrait reprendre du service d’ici 2025) affirment vouloir coloniser Gaza et expulser les Palestiniens (en Europe ou au Congo) signifie clairement que la reddition du Hamas ne signerait pas la fin des problèmes pour Gaza.
f) Netanyahou ne représente pas les Israéliens
Depuis que la conduite de la guerre est devenue indéfendable à tout homme politique ou journaliste soucieux de ne pas être attaqué en justice pour complicité de génocide, la petite musique qui monte des États-Unis et de l’Europe consiste à faire de Netanyahu le bouc émissaire de la politique israélienne. Il faut dire qu’il représente un coupable idéal.
Netanyahu est au pouvoir de manière quasi interrompue depuis 2009. Il a construit toute son identité politique sur la sécurité avant de présider au pire massacre de juifs depuis la Seconde Guerre mondiale. Il avait demandé au Qatar de continuer de financer le Hamas, a mené une politique étrangère et intérieure qui a encouragé le Hamas a passé à l’action. Et il semble déterminé a faire échouer les négociations pour la libération des otages. Le fait que des procès pour corruption l’attendent lorsqu’il ne sera plus Premier ministre expliquerait pourquoi il a formé un gouvernement de coalition avec l’extrême droite la plus dure et qu’il souhaiterait continuer la guerre. Avant le 7 octobre, sa réforme du système judiciaire et des institutions provoquait les plus grandes manifestations de l’Histoire de l’État hébreu.
Mais, comme nous l’avions vu en introduction, Netanyahu représente par de nombreux aspects l’aspiration de la majorité des Israéliens. Les principaux leaders de l’opposition sont également hostiles à une solution à deux États et pour la poursuite de la colonisation. Ils ne sont pas hostiles à la poursuite de la guerre non plus. Seul un Israélien sur 3 serait favorable à une solution à deux états, le reste de la population préférant l’occupation permanente et l’apartheid (ou le nettoyage ethnique). Aucun camp politique ne s’oppose à la poursuite de la guerre, déplorait le journaliste israélien Gideon Levy.
Autrement dit, l’impopularité de Netanyahou ne signifie pas que sa politique soit globalement impopulaire, au contraire.
Conclusion : du “soutien inconditionnel” à la complicité de génocide ?
Yael-Braun Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, s’est rendue à Tel-Aviv pour exprimer son “soutien inconditionnel”. De retour à Paris, elle a réaffirmé ce soutien, sous les applaudissements de tout l’hémicycle (France Insoumise exclue). Emmanuel Macron avait émis l’idée d’une coalition occidentale sur le modèle de celle qui avait été mise sur pied pour lutter contre Daesch, pour participer à la réplique israélienne contre Gaza. La France a fourni des armes à Israël et continuerait de le faire, comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Australie et - bien sûr - les États-Unis.
Ces démocraties ont également pratiqué une censure active des critiques d’Israël, fourni une protection diplomatique plus ou moins évidente à l’ONU et pris indirectement part au conflit en bombardant le Yémen.
Désormais, le ministre des affaires étrangères français évoque de potentielles sanctions économiques contre Israël, Yael Braun-Pivet a nié avoir apporté un soutien inconditionnel et Emmanuel Macron a appelé à un cessez-le-feu immédiat et permanent. Mais le mal et fait. Les actions visant à forcer Israël à stopper son offensive, démanteler les colonies et négocier une solution à deux États ne sont pas envisagées. Un boycott commercial (l’UE étant le premier partenaire d’Israël) serait un premier pas, voire un strict minimum. Il n’est même pas discuté sérieusement.
Dans la troisième partie de cet exposé, nous couvrirons les causes de ce soutien actif à Israël et ses conséquences les plus prévisibles.