Législatives : le top 5 des arguments utilisés pour vous manipuler
Depuis qu’Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée et convoqué de nouvelles élections dans les délais les plus courts permis par la constitution, le débat public nage dans la plus grande confusion.
Les Français sont pourtant face à un choix limpide. La poursuite du mandat d’Emmanuel Macron, l’alternative autoritaire, nationaliste et xénophobe du Rassemblement national (qui abandonne une à une ses promesses sociales) ou un projet de rupture écologique et sociale fondée sur la redistribution des richesses en faveur du monde du travail, des classes moyennes et populaires, portée par l’Union de la gauche.
Au lieu de débattre du bien-fondé de chaque projet ou simplement de s’alarmer de l’ascension au pouvoir d’un parti fondé par des Waffen SS et un antisémite tortionnaire, les principaux médias se font le relais de la communication du gouvernement, du RN et de leurs alliés.
Je souhaitais revenir sur les 5 principaux arguments déployés pour entretenir la confusion et manipuler les électeurs. N’hésitez pas à partager des extraits de cet article autour de vous.
1er argument : « Les extrêmes sont aux portes du pouvoir »
La formule, reprise par Kylian Mbapé pour appeler les Français à aller voter, est ressassée nuit et jour par le camp présidentiel et ses soutiens médiatiques. Elle vise à imposer une équivalence entre le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire. Tous deux seraient extrémistes, donc dangereux. Le seul choix raisonnable serait celui du camp présidentiel. Cette fausse équivalence sert aussi bien les intérêts d’Emmanuel Macron que ceux de Marine Le Pen. Si les deux extrêmes se valent, autant voter blanc en cas de second tour RN-Gauche (voir RN, si vous êtes un électeur d’Emmanuel Macron ou de LR). Et comme chaque bloc pèse environ 30 % de l’électorat, on connait le résultat.
La manipulation est grossière. Qu’en est-il du fond ? Peut-on qualifier le Nouveau Front populaire d’extrême gauche ?
L’ancien président de la République François Hollande (candidat en Corrèze) et de nombreux cadres du PS issus de l’aile droite du Parti, qui étaient opposés à la NUPES, font partie de cette union. Au sein des militants proches de la gauche radicale et de la rédaction de ce journal, c’est bien cela qui inquiète : la compromission du Nouveau Front populaire avec l’aile droite du Parti socialiste et les héritiers de François Hollande.
L’idée que le PS, EELV et le PCF de Fabien « vive la viande » Roussel appartiendraient aux « extrêmes » est si outrancière que même les principaux promoteurs de cette formule ne vont généralement pas jusqu’à y inclure ces trois partis. Ils justifient le terme par la présence de LFI au sein de la coalition. Pour manipuler les citoyens, ils procèdent souvent à une simplification bien pratique en qualifiant toute l’union de la gauche « d’extrême gauche » et l’élection d’une forme de référendum entre les jeunes cadres dynamiques Bardella et Attal, et l’affreux Mélenchon.
Réduire le Nouveau Front populaire à ce dernier est un mensonge grotesque conçu pour entretenir la confusion chez les électeurs. Mais quid de LFI ? Peut-on qualifier ce parti «d’extrême » ? Autrement dit, n’y aurait-il pas un fond de vérité dans la formule « les extrêmes sont aux portes du pouvoir » ?
2nd argument : « La France Insoumise est d’extrême gauche »
En mars 2024, le Rassemblement national a saisi le Conseil d’État pour contester le label “extrême droite” qui lui était appliqué par le ministère de l’Intérieur dans les documents officiels. Le RN espérait également obtenir la requalification de La France Insoumise, alors classée au sein du bloc de gauche, en partie d’extrême gauche. Bilan ?
Le Conseil d’État a tranché : le RN est bien d’extrême droite, et LFI n’est pas d’extrême gauche.
Notons également que pour les législatives de juin 2024, le ministère de l’Intérieur (de Macron et Darmanin) a choisi de qualifier l’alliance RN-LR de « union de l’extrême droite » et le Front populaire de « union de la gauche ». Toujours pas la moindre trace d’un qualificatif “extrême” pour LFI, contrairement au Rassemblement national. Le débat semble clos, si l’on en croit les institutions.
Ceux qui visent à qualifier LFI d’extrémisme se basent généralement sur trois arguments. La prétendue radicalité de leur programme économique et social, les accusations non étayées d’antisémitisme et une notion vague et ambiguë selon laquelle les positions et propos clivants tenus par le parti de Jean-Luc Mélenchon justifieraient le qualificatif “d’extrême”.
Sur ce dernier point, rien de nouveau. Dès le mois d’aout 2022, la Première ministre d’Emmanuel Macron Elizabeth Borne tentait de rejeter LFI “en dehors de l’arc républicain” avec comme seule justification le fait que ce parti d’opposition refusait le moindre compromis sur la réforme des retraites. Si s’opposer à la politique du gouvernement fait de vous un extrémiste, le pays est rempli de tels individus. Et c’est bien pour cela, en réalité, que LFI est sans cesse “diabolisé” : il s’agit de la seule force politique majeure qui s’oppose sans le moindre compromis au gouvernement et à l’extrême droite. Qui tient la ligne lorsqu’il faut condamner les violences policières, l’action du gouvernement israélien à Gaza, la criminalisation du mouvement climat, etc. Il ne faut pas être naïf, ce n’est pas par hasard que les médias dominants, la droite et l’extrême droite s’acharnent contre LFI. Si ce parti disparaissait, les mêmes arguments et procédés seraient déployés contre les écologistes, François Ruffin (ça a déjà été le cas) ou toute autre formation susceptible de s’opposer au couple Macron-Le Pen.
Il est par ailleurs frappant de constater que l’adjectif » extrémiste » n’est jamais appliqué au camp présidentiel, qui a pourtant provoqué la crise des gilets jaunes, imposé une réforme des retraites impopulaire en contournant le Parlement et gouverne à coup de 49-3. Ce n’est pas LFI qui a provoqué le soulèvement des banlieues, mais un meurtre commis par un policier soutenu par sa hiérarchie. Ce n’est pas LFI qui pousse la Nouvelle-Calédonie vers la guerre civile, mais les décisions pyromanes du gouvernement. Ce n’est pas LFI qui reprend les termes de l’extrême droite (“immigrationiste” “ensauvagement” “décivilisation”), qui lance des “qu’ils viennent me chercher” lorsque son conseiller se déguise en policier pour tabasser des manifestants ou qui justifie une dissolution expresse de l’Assemblée juste avant les Jeux olympiques, entrainant une panique des marchés financiers tout en expliquant “Je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s’en sortent…” avant d’invoquer “la guerre civile” en cas de victoire d’un des “extrêmes”. C’est Emmanuel Macron.
3e argument : “Le programme économique du Nouveau Front populaire est « un pur délire » irresponsable/dangereux/inapplicable…”
Sans surprise, la bourgeoise française, le MEDEF et les médias détenus par les milliardaires ont réagi très négativement au programme économique du NFP. Selon eux, revaloriser le SMIC entrainerait un chômage de masse, augmenter les impôts sur les grandes fortunes provoquerait leur exode fiscal et ruinerait les finances publiques. Les dépenses pour la transition écologique et le renforcement des services publics entraineraient une crise de la dette, etc.
Cet acharnement à tuer le débat dans l’œuf vise deux objectifs : ne pas parler du fond (ce que le programme du Front populaire propose, les améliorations profondes qu’il pourrait engendrer pour la vie des gens ou en matière d’écologie) et vous faire peur pour que vous votiez RN (tant qu’à choisir un programme économique “irresponsable”) ou Macron (le seul camp de la raison en matière d’économie, bien entendu).
Vous remarquerez que les experts, journalistes et politiques qui tiennent ce discours anxiogène sont les mêmes qui soutiennent ou approuvent les politiques économiques de Macron. Or, le bilan de ces politiques est calamiteux, y compris selon leurs propres critères.
En sept ans, la dette publique est passée de 2000 à 3000 milliards d’euros, le déficit public atteint les 5.5% au lieu des 3 % autorisés par Bruxelles, la croissance est deux fois moins rapide que lors des décennies précédentes, le déficit commercial a atteint un record de 163 milliards en 2022, le chômage repart à la hausse et les inégalités n’ont jamais été aussi élevées. Tout cela a conduit les agences de notations à dégrader par deux fois la note de la dette française et les marchés à « paniquer ». Le fameux « spread » entre les taux d’intérêts allemands et français atteint un sommet et la Bourse s’effondre. Selon leurs propres critères, la politique “raisonnable” du gouvernement est un désastre. Un désastre qui explique en grande partie la crise politique que nous traversons en ce moment, et qui pourrait déboucher sur l’accession au pouvoir d’un parti fondé par des nazis et encore rempli d’antisémites et racistes notoires.
Pourtant, le problème viendrait du programme économique du Front populaire. Si vous avez l’impression qu'on se moque de vous, c’est normal.
Aux présidentielles de 2022, Emmanuel Macron n’avait pas proposé de chiffrage de son programme économique ni reçu le soutien du moindre économiste de poids. Personne ne lui en a tenu rigueur. Rebelote pour ces législatives. Gabriel Attal n’a pas présenté de programme économique global et celui du RN fluctue au gré des déclarations et renoncements de Jordan Bardella. Pourquoi les questions du financement, de la faisabilité et du chiffrage ne sont posées qu’à la gauche ?
Contrairement à ceux de ses adversaires, le programme du Nouveau Front populaire a reçu le soutien de 300 économistes dont de nombreux chercheur de premier plan : Thomas Piketty (l’économiste français le plus lu à l’étranger), Gabriel Zucmann et Emanuel Saez (chercheurs à Berkley et fréquemment consultés par le Parti démocrate américain), Julia Cagé (enseignante à Science Po Paris), Michael Zemmour (aucun lien avec Éric, lui est enseignant-chercheur à la Sorbonne) et la Nobel d’économie Esther Duflo, pour citer les plus connus. Même le banquier d’affaire Mathieu Pigasse appelle à voter Front populaire et défend le sérieux du programme économique. L’hebdomadaire Alternatives Économiques évoquait le sérieux budgétaire du programme du Nouveau Front populaire, moins ambitieux en termes de dépense que celui de la NUPES.
Surtout, les critères d’évaluations sont très discutables. Quel est l’intérêt d’avoir des finances publiques à l’équilibre, si la planète devient inhabitable. Est-il responsable d’inonder les sols de pesticides et d’assécher les nappes phréatiques pour remplir des méga-bassines, si le but est de produire du maïs transgénique exporté vers l’Amérique du Sud pour aller engraisser des bœufs brésiliens ? Baisser les salaires et provoquer une grande précarité au travail sert-il les intérêts de la majorité des Français ou plutôt ceux du patronat et des actionnaires ?
Comme le note le journaliste économique Romaric Godin, juger du sérieux budgétaire d’un programme économique est un exercice à l’intérêt limité, alors que les budgets votés chaque année à l’Assemblée ratent systématiquement leurs objectifs de croissance, recettes et dépenses.
Par contre, la direction de chaque programme économique est claire, comme le détaillait la nobel Esther Duflo sur France Culture. Le camp présidentiel sert les intérêts du Capital, des grandes entreprises et des grandes fortunes en faisant payer la facture aux salariés, PME et classes laborieuses. Le RN veut faire de même en présentant la facture aux Français issus de l’immigration, aux étrangers et aux minorités. Il abandonne une à une ses promesses sociales. Le Front populaire, à l’inverse, veut partir des besoins du plus grand nombre et garantir un minimum de qualité de vie, avec un accent très important porté sur les salaires, le pouvoir d’achat, l’amélioration des services publics et le début d’une véritable transition écologique. Pour cela, il souhaite mettre à contribution le Capital, les grandes fortunes et les multinationales. Les choix sont clairs et les modalités précises dépendront des rapports de force au sein de la société après les élections.
« Si on le met à plat, le programme de la gauche n’a rien d’extrême. La cantine scolaire gratuite, rétablir l’ISF et augmenter les salaires, dans aucun référentiel c’est extrême. Ni en comparaison historique, ni en comparaison internationale » Michael Zemmour, professeur d’économie à Panthéon-Sorbonne.
Attaquer la crédibilité du programme du NFP permet de dissuader la majorité des Français qui sont favorables à l’amélioration des services publics et à la retraite à 60 ans que ces mesures sont inapplicables. De nombreuses études ont montré que si les Français ne votent pas pour la gauche, ce n’est pas parce qu’ils sont opposés à son programme économique, mais parce qu’ils ont intégré la propagande selon laquelle ces mesures ne seraient pas applicables.
Le moindre patron interrogé dans un Journal télévisé vous le dira, « avant de redistribuer la richesse, il faut la créer », comme si c’était une vérité évidente. On se demande comment ces chefs d’entreprises peuvent ignorer qu’il faut d’abord investir (et dépenser) pour produire de la richesse, mais l’essentiel est ailleurs. La France n’a jamais compté autant de milliardaires et de millionnaires ni créé autant de richesses. Si on ne peut pas en redistribuer un peu maintenant, alors quand ?
Comme l’explique l’économiste Gabriel Zucman, la France est “un paradis fiscal pour ultra-riches”. Les mesures envisagées pour taxer ce capital à la source sont tout à fait applicables. Si les grandes fortunes décident de quitter la France pour échapper à l’impôt, une loi similaire à celle du code des impôts américain permettra de taxer ces personnes souffrant d’un déficit de patriotisme, quel que soit leur pays d’expatriation. Même sans ce dispositif, comme l’indique Zucman, le manque à gagner en termes de recette fiscale sera nul, puisque ces grandes fortunes et multinationales ne payent quasiment aucun impôt en France actuellement.
De même, la politique d’augmentation des salaires ne va pas nécessairement créer du chômage et des faillites d’entreprise. Partout où elle a été testée, elle a eu des effets globalement positifs sur l’emploi. Sur ce sujet, la littérature économique est sans appel. Récemment, l’Espagne, le Portugal, Les Pays-Bas et les États-Unis ont mené une politique de revalorisation des salaires, avec de très bons résultats. De même, l’indexation des salaires sur l’inflation existe en Belgique et le blocage des prix a été utilisé à de nombreuses reprises dans l’histoire récente.
Ceux qui tentent de dissuader les électeurs de voter Nouveau Front populaire en leur prédisant l’apocalypse économique ne le font pas parce qu’ils sont plus compétents que le prix Nobel d’économie, mais parce qu’ils ont peur de devoir payer un peu plus d’impôts ou de recevoir un peu moins de dividendes.
4) “La France insoumise est un parti antisémite”
C’est le principal argument mis en avant pour taxer la gauche “d’extrémisme” et LFI de parti infréquentable. Cette attaque particulièrement violente ne repose sur aucun fait clairement établi : l’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit. Or, aucun cadre ou élu de LFI n’a été condamné pour des propos antisémites.
À l’inverse, de nombreux élus et cadres du RN ont été condamnés pour antisémitisme, racisme ou autres propos incitant à la haine. Il y a quelques mois, Jordan Bardella défendait encore son grand-père par alliance, Jean-Marie Le Pen, pourtant condamné par la justice pour antisémitisme et négationnisme.
Le camp présidentiel n’a pas davantage de leçons à donner. Emmanuel Macron avait tenté de rendre un hommage national à deux antisémites notoires : Charles Maurras et le Maréchal Pétain (qui était aussi un grand soldat, comme Hitler, un peintre incompris…). Gérald Darmanin a fait ses classes politiques à l’Action française, un groupuscule connu pour son antisémitisme. Plus récemment, le ministre de l’Intérieur avait été accusé d’antisémitisme pour des propos écris dans son livre paru pour justifier sa loi sur le séparatisme religieux et avait cité Jacques Bainville, antisémite notoire, lors des débats à l’Assemblée nationale. Surtout, c’est sous le mandat d’Emmanuel Macron que les actes antisémites se sont multipliés. Mais c’est pourtant LFI qui se retrouve accusée d’antisémitisme, de mettre les Français de confession juive en danger et de “propager la haine de l’autre”.
Sur quelle base ? La dénonciation du génocide qui serait en cours à Gaza et du nettoyage ethnique (ce sont les mots de Gérard Arault, ancien ambassadeur de Sarkozy en Israël) perpétué dans les territoires illégalement occupés de Cisjordanie. Il ne se passe pas une journée sans que des images atroces parviennent de Gaza et pas une semaine sans qu’un rapport de l’ONU ou d’une ONG atteste des crimes contre l’humanité ou de l’emploi systémique de la torture, du viol et de la famine contre les Palestiniens. Mais critiquer cela ferait de vous un antisémite, même si de nombreux Israéliens manifestent justement contre cette politique. LFI serait coupable d’instrumentaliser le vote musulman, un argument empli de racisme et d’islamophobie qui ne choque pourtant plus personne.
Cette attaque est une vieille stratégie récemment déployée dans d’autres démocraties pour disqualifier deux candidats proposant une véritable rupture avec l’ordre établi : Bernie Sanders aux États-Unis et Jeremy Corbyn au Royaume-Uni.
Le premier, bien que d’origine juive et ayant vécu dans un Kibboutz israélien, avait été taxé d’antisémite (entre autres) dans une tribune parue dans le New York Times et un éditorial du Washington Post. Sa victoire écrasante à la primaire du Nevada pour la présidentielle de 2020 avait été comparée à l’invasion de la France par l’Allemagne Nazie par le principal journaliste de la chaine d’information MSNBC. Que reprochait-on à Bernie Sanders, qui aurait pu devenir le premier président d’origine juive des États-Unis ? D’avoir qualifié Netanyahou de raciste et de s’opposer à la colonisation de la Palestine en exigeant que l’aide militaire américaine soit conditionnée au respect du droit international.
Corbyn est un autre exemple édifiant. Là encore, les accusations d’antisémitisme étaient liées à son engagement pour la cause palestinienne. Et là encore, les multiples accusations se sont avérées fausses une fois Corbyn privé de la direction du Labor (le parti travailliste, principale formation de gauche en Angletterre). Des fuites internes ont même établi que ses accusateurs travaillistes oeuvraient pour faire perdre leur propre parti et étaient emplis de biais racistes.
Oui, mais Mélenchon a dit que… et même le Monde et des membres de la gauche accréditent les accusations d’ambiguïté avec l’antisémitisme. C’est qu’il y a bien quelque chose, non ?
Plutôt que de reproduire ici les arguments, contre-arguments et éclairages, lisez la réponse précise et détaillée publiée par un collectif de chercheurs, historiens et militants antiracistes ici. Ou cet argumentaire nuancé là.
Surtout, demandez-vous pourquoi ces accusations font surface maintenant. À droite, il est évident que le RN et la Macronie tentent d’imposer ce thème dans la campagne pour invisibiliser tous les autres, à commencer par l’écologie, l’économie et le social.
À gauche, il ne faut pas être naïf. Si François Hollande est candidat et que Raphaël Glucksmann a tout fait pour bloquer l’Union, c’est parce que ces individus ne croient pas en la victoire. Ils sont prêts à laisser le RN gouverner, leur objectif est tout autre : la recomposition de la gauche en vue de la présidentielle de 2027 et la disparition de LFI.
5. “Un gouvernement d’extrême droite ne sera pas si dangereux que cela”
Cet argument prend différentes formes, du fameux “on a tout essayé sauf l’extrême droite” à la version accélérationniste “ça va donner un bon coup dans la fourmilière » en passant par “l’extrême droite gouverne ailleurs sans provoquer la fin de la démocratie ou mettre en place des camps de concentration”. Emmanuel Macron semble même s’imaginer que le RN se décrédibilisera au pouvoir et sera plus facile à battre en 2027.
D’autres pensent sincèrement que le RN va améliorer leur quotidien, bien qu’il a déjà reculé sur ses trois principales promesses dans ce domaine (les retraites, la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité et la réforme du marché de l’électricité).
Tous ces arguments ignorent de manière spectaculaire l’Histoire et ce qui se passe déjà en France et dans les autres démocraties où l’extrême droite a accédé au pouvoir.
En France, la dernière fois, cela a conduit à des rafles et déportations massives de français de confessions juives. Est-ce que le RN fera pareil avec les musulmans et autres minorités en France ? Probablement pas, même si aux États-Unis, Trump veut construire des camps d’internements pour migrants et déporter 15 millions d’immigrés. Le pire est toujours possible.
On voit déjà, à travers ses votes à l’Assemblée, au Parlement européen et son action dans les mairies qu’elle dirige, que l’extrême droite française est une imposture sociale et un parti fondamentalement raciste, xénophobe, hostile aux droits des femmes, LGBTQ et aux libertés publiques.
Évoquer l’Italie de Meloni ou le mandat de Trump pour minimiser le risque fasciste est une double erreur. C’est d’abord méconnaitre les effets de ces gouvernements chez eux : Meloni a supprimé le RSA et s’attaque au droit à l’avortement, pour donner deux exemples. Aux États-Unis, Trump n’a promulgué aucune mesure sociale, fait d’énormes cadeaux fiscaux aux riches, provoqué la suppression du droit à l’avortement, l’explosion des violences racistes et une augmentation de la criminalité. Battu aux élections, il a tenté de conserver le pouvoir en orchestrant un coup d’État. Son emprise sur la droite américaine et le système judiciaire est telle qu’il est en mesure de se représenter en 2024, et conserve de très sérieuses chances de l’emporter.
N'en déplaise aux macronistes, une fois au pouvoir, l’extrême droite ne rend pas les clés gentiment. En Italie, Meloni fait suite à un gouvernement de coalition incluant un parti d’extrême droite. En Pologne, l’extrême droite a gouverné pendant 8 années consécutives. Orban est toujours à la tête de la Hongrie et Modi de l’Inde. L’élection de ces forces politiques n’a pas mis un grand coup dans la fourmilière, dans le sens où les élites économiques s’en sont très bien accoutumées.
Or, les institutions françaises sont bien moins équipées pour faire face à un gouvernement autoritaire, Emmanuel Macron en fait la démonstration jour après jour. Les contre-pouvoirs sont bien plus puissants en Italie ou aux États-Unis. Et le gouvernement actuel a préparé le terrain, que ce soit en laissant Bolloré prendre le contrôle de pans entiers du système médiatique, en affaiblissant le Conseil constitutionnel, en attaquant les libertés de la presse, en transcrivant dans le droit les principales prérogatives de l’État d’Urgence, etc.
La presse et les médias, le fameux “quatrième pouvoir” ne vont pas s’opposer au RN. Ils accompagnent déjà son arrivée au pouvoir, comme par anticipation. Radio France licencie ses humoristes et déprogramme les émissions les plus indépendantes. France Télévision écarte les journalistes qui ont signé un appel à faire front contre l’extrême droite. Le Figaro se sépare d’une journaliste historique qui a critiqué la ligne pro-RN du journal dans un tweet. Et Bolloré installe Hanouna sur Europe 1 avec comme consigne “du RN tous les jours”, au mépris des règles de pluralisme et de respect du temps de parole. Le directeur de BFMTV a également passé des consignes pour que la chaine invite davantage d’éditorialistes “droite et droite +”. Ça, c’est avant que le RN arrive au pouvoir et privatise l’audiovisuel public pour l’offrir à Bolloré.
Mais la victoire du RN fera bien plus que simplement permettre le vote de lois autoritaires et antidémocratiques. On assiste déjà à une explosion de violences racistes et homophobes, de nombreuses milices d’extrême droite attendant avec impatience le 8 juillet pour “casser du pédé” ou “nettoyer tout ça au chalumeau”. Sans oublier la parole raciste qui se libère sur tous les plateaux audiovisuels. Interrogé sur le harcèlement subi par une femme d’origine africaine de la part de ses voisins militants au RN, Marine Le Pen a jugé que leurs propos (“on est chez nous” (…) “va à la niche”) n’étaient pas racistes. Quant à la Police, elle se radicalise à vue d’oeil, alors que de nombreux policiers font ouvertement campagne pour Bardella.
Le RN au pouvoir c’est dans le meilleur des cas la victoire du Macronisme ou du Hollandisme en 2027. Et dans le pire, toute manifestation systématiquement interdite, les syndicalistes visés par des actions en justice, des assassinats politiques, la dissolution des partis d’opposition et des ONG militantes (comme l’a déjà promis Jordan Bardella).
Nous avons suffisamment alerté sur le fait que le régime actuel n’était plus une démocratie. Ça ne veut pas dire que les choses ne peuvent pas empirer. Elles empireront certainement, en particulier pour les femmes, les chômeurs, les personnes LGBT, les personnes de couleurs ou de confession musulmane, mais également pour ceux qui croient encore aux promesses sociales du RN.
L’extrême droite, on connait. La nouveauté se trouve du côté de la gauche radicale incarnée par LFI. C’est pour cela que la classe dominante cherche à vous dissuader d’essayer.