Comment réussir un génocide (partie 3)
Pourquoi les démocraties occidentales soutiennent-elles plus ou moins activement le génocide en cours à Gaza, quelles en seront les conséquences chez nous et que peut-on faire pour les atténuer ?
“Gaza, en tant qu’un ensemble politique, culturel et géographique n'existe plus. Le génocide est l’annihilation délibérée d’une part ou de la totalité d’un collectif - pas de tous les individus qui le constituent. C’est ce qui se passe à Gaza. Il s’agit indéniablement d’un génocide.”
Ce sont les mots du chercheur et historien israélien Amos Goldberg, spécialiste de la Shoah et des crimes de génocide. Il rejoint ainsi les conclusions de la rapporteuse spéciale de l’ONU et de nombreux universitaires, historiens ou spécialistes israéliens des génocides, qui ont déjà qualifié comme telle l’offensive contre Gaza.
Dans le premier volet de mon exposé sur la situation en Palestine, je détaillais les principaux crimes, listais l’ampleur des destructions et citais quelques propos et décisions des dirigeants israéliens permettant de parler d’un génocide. Depuis la parution du second volet, qui analysait comment les médias et politiciens occidentaux avaient soutenu ou facilité ce génocide, plusieurs développements majeurs ont eu lieu :
Le procureur de la CJI a requis des mandats d’arrêt internationaux contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanayhu et le ministre de la Défense Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, dont celui d’extermination et de persécution d’une population.
Israël a rejeté l’accord proposé par l’Égypte et accepté par le Hamas qui portait sur la libération de tous les otages contre une trêve de plusieurs mois.
Contre l’avis des démocraties occidentales et des États-Unis, l’armée israélienne a déclenché son offensive tant redoutée à Rafah, provoquant l’expulsion d’au moins neuf cent mille civils et l’arrêt des livraisons d’aide humanitaire dont dépendent 2 millions de personnes pour survivre.
La CJI a ordonné à Israël d’arrêter immédiatement son attaque contre Rafah et la réouverture du poste-frontière permettant d’acheminer l’aide humanitaire
L’armée israélienne avait délibérément assassiné 7 travailleurs humanitaires occidentaux, dont un Américain.
Au moins trois charniers immenses ont été découverts sur les sites des hôpitaux Al Shifa et Nasser, contenant plusieurs centaines de corps, dont des patients et des enfants ligotés. La maire israélienne de Jérusalem a justifié ces massacres en accusant les cadavres d’enfants ligotés d’être ceux de terroristes.
Une enquête extrêmement fouillée a démontré l’usage systémique de l’intelligence artificielle par l’armée israélienne pour cibler des militants potentiels du Hamas uniquement lorsqu’ils rentraient chez eux, à leur domicile, avec une politique assumée de dommages collatéraux pouvant aller jusqu’à 300 victimes civiles pour un membre du Hamas. Une logique “génocidaire”, selon Amos Goldberg.
Un lanceur d’alerte a fourni à CNN les preuves d’un camp militaire où les prisonniers palestiniens, dont au moins quarante seraient morts en captivité, sont torturés quotidiennement. La presse israélienne a également publié une enquête décrivant l’ampleur systématique des tortures et viols perpétrés par Israël dans ses prisons. Des milliers de Palestiniens seraient ainsi soumis quotidiennement à des atrocités inhumaines.
Pour autant, aux États-Unis, les médias se sont concentrés quasi exclusivement sur un autre fait : les mobilisations étudiantes dans certains campus pour demander un cessez-le-feu et la fin de la collaboration avec les universités et entreprises israéliennes, que la presse a systématiquement couvertes comme une explosion d'antisémitisme avant d’obtenir des expulsions ultras violentes de la part des polices locales (sic).
En France, “La solidarité avec la Palestine est devenue un délit. Vouloir l’exprimer par la parole, l’écrit ou la manifestation est passible de convocation policière, de condamnation pénale ou d’interdiction préalable. Tous les démocrates devraient s’en inquiéter” écrivait Edwy Plenel dans Médiapart dès le 20 avril. Depuis, la sphère politico-médiatique se déchaine sur Rima Hasan, la juriste franco-palestinienne de 29 ans figurant en 7e position sur la liste de la France Insoumise aux Européennes. Et au-delà, contre toutes les voix qui dénoncent la politique du gouvernement israélien.
Récapitulons :
Au Moyen-Orient, nous assistons à ce qui semble constituer le premier génocide filmé et diffusé en direct. Il s’accompagne d’une généralisation de la torture des prisonniers palestiniens faisant passer la prison américaine de Guantanamo pour un club Med.
En France, le refus de condamner ce génocide a évolué vers autre chose. “Ce qu’on vit en ce moment, c’est une étrange défaite, une défaite de la vérité, de la pensée, de l’honnêteté” concluaient les journalistes de Blast dans un court documentaire impressionnant.
Si le gouvernement français tente de tenir depuis peu une ligne équilibrée, il se refuse à reconnaitre l’État palestinien, à cesser ses exportations d’armes vers Israël, à introduire des sanctions économiques et un blocus commercial et continue de persécuter les voix qui dénoncent le génocide, pendant que le Premier ministre et de nombreux ministres reprennent la propagande israélienne et s’affichent ouvertement avec des politiciens défendant la poursuite des combats à Gaza et de la colonisation en Cisjordanie.
Pourquoi ce refus de se ranger du bon côté de l’histoire, pourquoi ce jusqu’au-boutisme dans le soutien au génocide en cours ? Quelles seront les conséquences les plus prévisibles de cette faillite historique ? Peut-on faire quelque chose en tant que simple citoyen français ? Ces questionnements font l’objet de la troisième partie de notre grand format sur la Palestine.
1) Pourquoi l’occident accompagne le génocide en cours à Gaza ?
La faillite de l’occident ne date pas d’hier. Que ce soit le blocus de Gaza débuté en 2006, la colonisation illégale qui s’accélère depuis 1967, le nettoyage ethnique et les massacres de la Nakba en 1948 , l’assassinat d’une journaliste américaine, la répression sanglante de la marche pacifique du retour ou plus simplement le régime d’apartheid qui touche tous les Palestiniens, y compris la diaspora. L’occident a accompagné tout cela. Comme le rappelait Rima Hassan, les réfugiés palestiniens n’ont pas le droit d’aller en Palestine visiter leur famille, ni même en Israël se recueillir sur les terres de leurs grands-parents. Par contre, il suffit d’être marié à une personne pouvant justifier d’un grand-parent juif pour obtenir la nationalité israélienne et s’établir dans une colonie de Cisjordanie, sur un terrain appartenant quelques mois plus tôt à une famille palestinienne.
En dépit des nombreux seuils franchis par Israël depuis le 7 octobre en matière de barbarie, rien ne semble susceptible d’entrainer un revirement de cette politique de soutien inconditionnel. L’horreur du 7 octobre n’explique pas tout.
Commençons par couper court aux arguments antisémites du type “de nombreuses personnes évoluant dans les cercles de pouvoir sont d’origines juives”. Rappelons que de nombreux hauts responsables (Joe Biden, Emmanuel Macron, le Premier ministre anglais Risk Sunat …) non juifs soutiennent la politique israélienne, et que de très nombreux juifs (y compris des journalistes, hommes politiques de premier plan, intellectuels, l’humoriste le plus populaire des États-Unis, le milliardaire George Soros, un metteur en scène oscarisé…) s’opposent à la politique israélienne ou soutiennent activement la cause palestinienne. Aux États-Unis, l’opposition la plus forte à l’offensive contre Gaza est venue d’organisations juives militantes (“Jewish for peace”, “Not in my name”…). Les juifs américains ne constituent pas un électorat particulièrement important, ils votent très majoritairement démocrate et sont généralement hostiles aux politiques de Netanyahou.
L’argument des intérêts économiques ne tient pas davantage. Le PIB israélien ne pèse que 500 milliards de dollars, un peu moins que la Belgique et six fois moins que la France. Israël est notoirement pauvre en matière première, elle importe son pétrole et son gaz et exporte principalement des produits de haute technologie. Les livraisons d’armes américaines permettent d’entretenir l’industrie de l’armement états-unienne, mais représentent une fraction du budget de la Défense (environ 4 milliards par an sur plus de 800 milliards). Et l’Ukraine constitue un meilleur débouché pour les exportations d’armes américaines à l’heure actuelle.
Le cas américain
Pendant longtemps, les intérêts à défendre Israël étaient surtout géopolitiques. L’État hébreu est le principal allié des États-Unis dans la région. Mais cette dernière s’est pacifiée presque en dépit d’Israël. Les États-Unis sont désormais exportateur net de pétrole et de gaz et Israël se comporte davantage comme un boulet (on l’a vu avec le bombardement du consulat iranien qui a bien failli déboucher sur un conflit généralisé) qu’un partenaire digne de confiance. Dit autrement, Israël poursuit depuis des années des desseins contraires aux intérêts américains (sur l’accord nucléaire iranien et via ses liens avec la Chine et la Russie, notamment).
La dimension religieuse joue davantage. Elle s’exprime essentiellement à travers le vote des chrétiens évangélistes, qui votent pour le Parti républicain.
La droite américaine se reconnait dans le projet sioniste par pur antisémitisme : les évangélistes considèrent que le retour du messie aura lieu lorsque tous les juifs seront rentrés en Israël, ce qui fera advenir le jour du jugement dernier (les juifs qui refuseront de reconnaitre le Christ seront alors exterminés, on voit le caractère antisémite de cette croyance fermement ancrée dans des pans entiers de l’électorat républicain). Plus généralement, la droite américaine est belliciste, colonialiste, islamophobe et réagit aux protestations étudiantes par le désir de voir Israël continuer ces massacres. Leur position n’est cependant pas majoritaire.
Mais quid des démocrates et de Joe Biden ? Son électorat est très majoritairement hostile à sa gestion de la crise (à plus de 80%) et une majorité estime qu’Israël commet un génocide. De nombreux membres de l’administration Biden ont démissionné, écrit des lettres ouvertes ou effectué des débrayages en protestation de sa politique pro-israélienne. Au sein du Congrès, un nombre important d’élus démocrates a voté contre le soutien militaire à Israël. Surtout, deux électorats particulièrement importants sont vent debout contre la politique de Biden : les étudiants et les musulmans. Ces derniers sont surtout présents dans les États clés du Michigan et du Wisconsin (gagnés par Trump en 2016 et par Biden en 2020, à chaque fois de quelques milliers de voix). Pendant les primaires démocrates, un mouvement s’en mit en place pour voter “non engagé” au lieu de Biden, afin d’envoyer un message au président : changez de politique en Palestine ou nous voterons blanc à la présidentielle. Ce vote a réuni des dizaines de milliers d’électeurs, soit davantage que les marges de manœuvre dont disposerait Biden dans ses États.
Le président commet-il un suicide politique pour les beaux yeux de Netanyahou ? C’est ce qu’estiment certains analystes américains. Un fait d’autant plus surprenant que le gouvernement israélien souhaite ouvertement une victoire de Trump et agit en conséquence pour décrédibiliser Biden.
Pour expliquer ce jusqu’au-boutisme du président démocrate, il faut avoir plusieurs éléments à l’esprit. D’abord, ce dernier se définit depuis longtemps comme “un sioniste convaincu”, décrivant Israël comme “le meilleur investissement américain” et “un État qu’il faudrait inventer s’il n’existait pas”. Ensuite, Biden a lui-même admis qu’il était incapable d’éprouver envers les victimes palestiniennes la même empathie que celle qu’il ressent pour les victimes israéliennes. Ce qui expliquerait pourquoi il a menti à plusieurs reprises en conférence de presse, affirmant avoir vu les photos de bébés israéliens décapités (la Maison-Blanche avait ensuite rectifié en précisant que de telles photos n’existent pas) et remis en cause les chiffres des victimes communiqués par le ministère de la Santé de Gaza (avant de les reprendre à son compte plusieurs semaines plus tard, lors de son grand discours annuel devant le Congrès).
Biden, qui avait voté en faveur de l’invasion de l’Irak, semble donc convaincu du bienfondé de l’offensive contre Gaza. Par racisme envers les musulmans comme par tropisme pro-israélien.
Enfin, la plupart des conseillers de Biden restent des démocrates issus de l’aile droite du Parti, convaincus que l’élection se joue au centre et que s’opposer à Israël leur couterait trop cher politiquement, du fait de la couverture médiatique négative que cela entrainerait : les grands médias plutôt favorables au Parti démocrate (CNN, New York Times, Washington Post, MSNBC) et les chaines généralistes (ABC news, CBS, PBS, NBC, NPR) ayant elles-mêmes un biais pro-israélien bien documenté. À cela s’ajoute le poids de la sphère médiatique conservatrice et d’extrême droite, ouvertement progénocide. Plus généralement, ce tropisme pro-israélien s’explique par la puissance des lobbies israéliens à Washington (l’AIPAC, en particulier), selon le géopolitologue américain John Mearsheimer. L’AIPAC a ainsi prévu de dépenser plus de 100 millions de dollars dans les primaires démocrates de 2024 pour réduire au silence toute voix ne soutenant pas assez fermement la politique du gouvernement israélien. Une somme inouïe, comparée aux budgets de campagne de ce type de scrutin (autour d’un million de dollars par siège contesté).
Comme on l’a vu avec l’épisode du massacre des humanitaires de la World Central Kitchen, les États-Unis ont la capacité d’infléchir la politique d’Israël de manière décisive. Mais Biden évite d’utiliser cette influence. Il s’enferme dans une triangulation intenable : dès qu’il cherche à modérer l’action d’Israël, il s’attire les foudres de la sphère pro-israélienne, et lorsqu’il ne fait rien, il provoque la colère de plus en plus irrécupérable de sa base électorale.
Le soutien américain au génocide en cours va donc directement à l’encontre des intérêts du pays et de son président, mais obéit à une certaine forme de rationalité (quoique limitée et teintée d’idéologie). Qu’en est-il pour la France ?
Pourquoi la France ne s’oppose pas au génocide en cours à Gaza
La France a encore moins d’excuses que les États-Unis. Les ventes d’armes sont dérisoires en volume, les intérêts géopolitiques sont opposés à ceux d’Israël et la relation commerciale est asymétrique : l’UE est le premier partenaire commercial d’Israël, mais Israël représente une part négligeable du commerce européen.
Depuis de Gaulle jusqu’à Chirac, la diplomatie française a toujours privilégié la neutralité voire un tropisme pro-palestinien. Avant tout du fait d’intérêts géopolitiques, bien compris. Ces intérêts n’ont pas changé, mais l’attitude de la France, si. En particulier dans les grands médias et au sein de la classe politique - Emmanuel Macron faisant presque figure d’exception à droite si on le compare à ses députés et ministres.
L’argument de la culpabilité vis-à-vis de la Shoah parait insuffisant. Il n’explique pas la rupture avec la position historique de la France. Et rappelons qu’Emmanuel Macron a tenté de réhabiliter Pétain tandis que Gérald Darmanin a produit des écrits qualifiables d’antisémites pour justifier sa loi sur le séparatisme.
Le revirement de la France semble s’expliquer avant tout par le racisme et l’islamophobie obsessionnelle de sa classe politico-médiatique. Pour reprendre les arguments du journaliste et intellectuel (juif) Alain Gresh, “L’idée que les musulmans sont des barbares justifie un génocide d’atmosphère en Occident”. Ce racisme s’exprime contre les banlieues françaises et a été exacerbé par les vagues d’attentats islamistes. De François Hollande à Éric Zemmour, du PS à LR, la classe politico-médiatique dominante peut ainsi tranquillement expliquer que toutes les vies ne se valent pas sur les plateaux TV. Israël n’est plus une puissance coloniale occupante, mais est désormais perçu comme un allié dans la lutte contre le terrorisme islamiste et le conflit civilisationnel fantasmé par Éric Zemmour et le RN. Le fait que ce revirement risque d’encourager le terrorisme en France ne semble pas traverser l’esprit de nos “élites”.
À ce lien entre racisme systémique et soutien au génocide s’ajoute de l’opportunisme politique. Le bashing politico-médiatique contre La France Insoumise et, de manière plus générale, la criminalisation de la critique d’Israël (manifestation interdite, humoriste censuré et licencié, conférences d’intellectuels juifs annulés, réunions publiques de LFI interdites, dirigeants syndicaux et politiques convoqués par la Police, etc.) sert un dessein électoraliste et idéologique plus vaste. D’abord tenter d’écraser l’opposition de gauche, et ensuite créer des ponts permettant des alliances futures entre l’extrême droite et la droite (LR et Rennaissance). C’est comme cela qu’il faut comprendre le fait que toute la classe politique française (à l’exception de LFI et des partis d’extrême gauche) ait cautionné le RN en acceptant de manifester avec lui le 12 novembre 2023.
Enfin, il faut également considérer l’hypothèse d’une forme de solidarité de classe. La bourgeoisie française s’identifie davantage avec le pouvoir israélien qu’avec les victimes palestiniennes. Le Philosophe Frédéric Lordon voyait ainsi une continuité du réflexe de domination, exacerbé depuis que la position initiale de la bourgeoisie française devient intenable en vue de l’ampleur des crimes commis par Israël. Plutôt que de reconnaitre des erreurs (et donner raison à la gauche radicale), notre classe dirigeante préfère marteler qu’il n’y a pas de génocide, que la Cour de Justice Internationnale est illégitime et ignorer le fait que 2 millions de civils sont affamés devant leurs yeux pendant que des milliers de Palestiniens sont quotidiennement torturés dans les geôles israéliennes. La hargne qui a pu s’exprimer contre les étudiants de La Sorbonne et Science Po après s’être abattue sur la Franco-Palestinienne Rima Hassan peut se comprendre comme une réaction au fait que la classe dirigeante ne veut pas accepter la réalité. À savoir qu’elle se rend complice de crimes contre l’humanité.
Plus généralement, on peut expliquer ce soutien au gouvernement d’extrême droite de Netanyahou par le simple fait que la classe dirigeante française a basculé à l’extrême droite depuis quelque temps déjà, et se sent ainsi naturellement solidaire de son action.
2) Les conséquences prévisibles
L’ampleur de la faillite morale de l’occident envers ce qui constitue sans conteste le grand crime du siècle est encore difficile à évaluer. Au-delà du degré inédit d’atrocités commises, ou le fait qu’il s’agit certainement de la première fois dans l’Histoire moderne qu’un peuple entier est volontairement affamé dans le but de procéder à un nettoyage ethnique, les conséquences pour les Palestiniens dépassent déjà l’entendement.
Mais qu’en est-il des conséquences pour les coupables - hors de l’État d’Israël - c’est-à-dire les démocraties occidentales ?
Pour le géopolitologue Pascal Boniface, mais également Georges Malbrunot (grand reporter au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient), Dominique de Villepin ou tout autre diplomate ou spécialiste de la géopolitique quelque peu sérieux, le cout de notre complicité sera élevé. L’occident est totalement décrédibilisé aux yeux du sud global. Que ce soit par son “deux poids deux mesures” lorsqu’il s’agit de condamner la Russie tout en soutenant Israël. Mais aussi dans la critique des instances internationales, CJI comprise, et le mépris affiché pour les organisations humanitaires, les droits de l’Homme et les valeurs universalistes.
Comment espérer que le monde et notamment le Sud s’indigne et sanctionne la Chine en cas d’agression contre Taiwan après pareille faillite morale et rupture avec nos propres principes ? Soit le droit international - via la CJI et l’ONU - prévaudra. Soit il en sera fini de ce système de valeur et de gouvernance.
L’idéal démocratique lui-même est en train d’être emporté par cette crise. Comment défendre ce système politique lorsqu’il perpètre un génocide (dans le cas d’Israël) ou le facilite (dans les cas des États-Unis, de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la France) ?
Il faudra probablement des décennies pour réparer tous les dégâts occasionnés par cette folie. Il faut voir ce qui se dit sur les réseaux sociaux des pays du Sud, en particulier de la Chine, où les populations voient toutes les vidéos de massacres et sont simplement choquées que de telles atrocités puissent être commises impunément.
Et en France ? Nous l’avons vu, l’offensive israélienne est instrumentalisée par l’extrême droite pour remporter une bataille culturelle et se rapprocher du pouvoir. Mais il faut aussi évoquer la fameuse “importation du conflit”. Qui s’opère non pas du fait des musulmans, mais bien du pouvoir qui criminalise les voix pro-palestiniennes et stigmatise les Français issus de l’immigration magrébine. Une enquête récente relayée par Le Monde démontrait que la France subit une hémorragie des “cerveaux” de confessions musulmanes qui choisissent, face au racisme ambiant, de quitter le pays. Ce genre de dynamique risque de s’aggraver, alors que le soutien de la France aux massacres de Palestiniens pourrait constituer un nouveau terreau de radicalisation pour la mouvance islamiste.
Difficile de voir ce qui pourrait ressortir de positif de cette crise. À moins de penser que l’ampleur des crimes israéliens va permettre au droit international de s’affirmer. Et qu’en France, un réveil des consciences va s’opérer malgré le matraquage et le déni issus de la classe politico-médiatique dominante.
3) Que faire pour limiter les dégâts ?
Face au crime historique qui se déroule devant nos yeux, il est normal d’être pris d’un profond sentiment d’impuissance. Faire des dons aux ONG qui ont encore accès à Gaza ne peut - au mieux - qu’aider à agir sur les conséquences, pas les causes. Néanmoins, quelques actions importantes peuvent être entreprises pour agir sur l’origine du problème, au-delà d’une participation aux éventuelles manifestations.
La première consiste à contacter son député pour lui demander un changement de politique de la France. Une manière rapide et efficace de faciliter la prise de conscience à l’Assemblée. Vous serez étonné de voir qu’il vous répondra. Pas nécessairement positivement, mais le message sera passé.
La seconde est de soutenir les médias indépendants qui couvrent le conflit sans compromissions. Je pense à la WebTv Le Média, au Monde diplomatique, à Médiapart, à Frustation mag…
La troisième est encore plus accessible. Il ne vous aura pas échappé qu’une élection aura lieu le 9 juin en France. Or, les Européennes présentent le paradoxe d’être le scrutin qui a le moins de conséquences sur nos vies (le parlement européen n’a quasiment aucun pouvoir et la France n’élit que 81 députés sur 705) tout en étant l’élection où notre vote a le plus d’impact (proportionnelle à un tour et faible taux de participation).
Le parlement européen n’a certainement pas le pouvoir d’infléchir la politique israélienne en Palestine ni d’obtenir les sanctions commerciales qui forceraient l’État hébreu à respecter le droit international. Mais ces élections peuvent permettre d’envoyer un message fort en soutenant une liste ayant clairement pris position depuis le début contre l’offensive israélienne à Gaza et la colonisation en Cisjordanie. Et malheureusement, une seule liste remplit ces conditions : celle de Manon Aubry pour La France Insoumise.
Ce vote poursuit divers objectifs : il permettra d’envoyer au Parlement la Franco-Palestinienne Rima Hassan, élue parmi les 40 femmes les plus influentes de l’année 2023 par le magazine Forbes, mais victime d’un harcèlement médiatique, politique et judiciaire depuis le 7 octobre. Et ainsi d’accroitre la visibilité de la cause palestinienne. Il permettra aussi de combattre la censure et la criminalisation de la critique du génocide en France, en envoyant un message clair de soutien à tous ceux qui se dressent courageusement contre cette injustice. Et de récompenser ceux qui osent s’opposer - malgré le cout électoral évident - au maccarthysme ambiant et au “génocide d’atmosphère” dénoncé par Alain Gresh.
S’opposer à un génocide devrait être le minimum syndical pour une formation politique. Seule LFI s’y est attelée clairement. Malgré les importantes réticences que cela peut susciter chez nombre d’entre nous, leur accorder notre vote aux Européennes semble aller de soi. À quoi bon s’émouvoir de la situation à Gaza si l’on rechigne à voter pour la seule force politique qui cherche concrètement une alternative, ose dénoncer la situation et défend les voix qui s’élèvent en France pour faire de même ?
J’espère que cette série d’articles sur Gaza vous aura intéressé et permis d’élargir votre champ d’information, à travers les sources et références notamment. Vous pouvez retrouver la partie 1 ici et la seconde partie là. N’hésitez pas à donner votre opinion dans les commentaires, je serai heureux d’y répondre. Et si vous n’êtes pas déjà abonné(e) à cette newsletter…